Jacques TARDIF – L’approche par compétences : un changement de paradigme

Conférence donnée à l’ICAP (Innovation Conception et Accompagnement pour la Pédagogie) – Université de Lyon I – le 20 février 2013.

Qui est Jacques Tardif ?

Spécialiste de la pédagogie universitaire, il a enseigné longtemps à l’Université de Sherbrooke au Québec. Il se définit lui-même à la fois comme un psychologue de l’éducation préoccupé par l’influence du professeur sur les étudiants, et comme un chercheur pour lequel le dogme n’a aucun intérêt. Il a sans cesse été à la recherche d’une pédagogie innovante pour les étudiants afin que leurs apprentissages prennent un sens.

 

La conférence du 20 février 2013

Jacques Tardif est invité par l’ICAP de l’Université de Lyon, service qui a pour principal objectif de moderniser et d’améliorer la qualité des enseignements. Il lui a été demandé d’exposer son point de vue et son expérience sur l’approche par compétences dans l’enseignement. Son discours d’une cinquantaine de minutes est suivi par une séance de questions d’environ une demi-heure. Le conférencier explique que l’approche par compétences engendre un changement de paradigme, c’est-à-dire une modification du cadre de référence qui suggère des pratiques appropriées. Avoir une telle démarche dans le système éducatif, c’est passer de l’enseignement à l’apprentissage, de la théorie au guide pratique.

 

Différences entre enseignement et apprentissage

Pour Jacques Tardif, enseignement et apprentissage sont deux stratégies opposées :

  • l’enseignement est une démarche par discipline qui génère un fractionnement, un morcellement des apprentissages ; on espère que l’apprenant en fera un jour quelque chose, qu’il sera capable seul d’assembler les pièces du puzzle ;
  • l’approche par compétences est dans une logique d’apprentissage qui sous-entend le développement d’un parcours, une continuité et une complémentarité des disciplines.

Selon le conférencier, la démarche par compétences procède d’une logique vidéographique : un parcours avec des étapes où l’intégration des différentes disciplines est faite ou accompagnée par l’enseignant. Tandis que l’enseignement par discipline procède d’une logique photographique : des pièces sans liens entre-elles sont déposées sur le parcours de l’apprenant.

 

Pourquoi changer la façon d’enseigner ?

Dans une approche disciplinaire, l’enseignement est orchestré pour et par l’enseignant. Chacun sa matière, son heure, sa salle. Un temps bien déterminé pour chaque matière, pour la récré, pour le repas. Cette fragmentation fait de l’école une chaîne de montage. On peut faire l’analogie avec la division taylorienne du travail : chacun dépose sa pièce et, à la fin, on obtient un produit fini. Le problème de cette méthode est que l’apprenant n’est pas très impliqué dans ses apprentissages.

Dans ce système l’évaluation consiste souvent en une demande de reproduction textuelle de ce qui a été appris en classe comme si l’étudiant n’était pas capable de construire un savoir. L’apprenant n’est rien de plus qu’un photocopieur.

Pour Jacques Tardif, il ne faut plus enseigner des savoirs fragmentés. Pourquoi ?

  • selon lui, la théorie ne doit pas nécessairement précéder la pratique, les deux peuvent s’apprendre simultanément ;
  • l’analyse des problèmes dans la vie fait souvent faire appel à des connaissances et des compétences pluridisciplinaires.

 

Pourquoi adopter une approche par compétences ?

Jacques Tardif considère que le développement des compétences ne doit pas se résumer aux périodes de stages. Cette démarche doit s’inviter dans les salles de classes même si ce n’est pas simple. On peut commencer par bouger le curseur entre l’enseignement par disciplines et l’approche par compétences sans faire de changement brutal. A chacun de trouver sa démarche dans la transformation de son enseignement.

Selon le conférencier, les raisons qui incitent au changement vers une méthode par compétences sont les suivantes :

  • les savoirs théoriques sont peu transférables ;
  • l’enseignant propose la même chose de la même manière à tous les publics, quelles que soient les différences au sein même de l’auditoire ;
  • les savoirs théoriques et disciplinaires n’ont pas d’ancrage dans la réalité ;
  • les savoirs théoriques ne permettent pas de résoudre des problèmes complexes, flous ou aux enjeux éthiques. Même un apprentissage par problèmes – les cas d’école en faculté de médecine par exemple – ne rendent pas la complexité des cas qu’on peut rencontrer dans la vraie vie ;
  • la théorie développe très peu la pensée critique et ne favorise pas les interprétations multiples d’un même problème. Elle encourage une seule marnière de faire, une pensée logique, algorithmique, faite d’une suite logique, qui n’a rien à voir avec une pensée plurielle, à multiples entrées ;
  • des apprenants ne sont pas motivés pour les savoirs théoriques alors qu’ils s’engagent facilement dans des projets qui font sens ;
  • la société de demain devra gérer des problématiques de plus en plus complexes et aura donc besoin de solutions pluri- ou transdisciplinaires ;
  • la société a besoin de gens qui aient des compétences relationnelles pour le travail en équipe et de compétences cognitives (distinctions entre un fait et une opinion, entre le vrai et le faux, entre l’essentiel et le périphérique).

 

La démarche par compétences : des situations d’apprentissage cohérentes

Pour les apprenants, la démarche par compétences induit un haut degré d’authenticité de la situation d’apprentissage. Apprendre a un sens. Lorsque l’étudiant a besoin de savoirs théoriques pour la pratique alors il va chercher et apprendre les connaissances nécessaires à la réalisation du projet proposé. L’apprentissage des connaissances est corrélé à un but précis, il s’ancre dans la réalité. La transdisciplinarité évite l’ennui et développe une vision d’ensemble des problématiques.

Le déséquilibre cognitif est, selon Jacques Tardif, le meilleur vecteur de l’apprentissage. Se rendre compte que l’on a fait erreur ou qu’on ne sait pas incite à la recherche d’un nouvel équilibre cognitif et donc à trouver des solutions, à apprendre. Ainsi, l’enseignant doit donner des problèmes aux étudiants qui sont au départ insolubles compte tenu de leur niveau de connaissances ou de pratique. En plus d’encourager l’apprenant sur le chemin de l’apprentissage, cette difficulté augmente son niveau de motivation. L’enseignant est un guide sur le chemin.

La démarche par compétences peut être mise en œuvre de façon multiple : études de cas, réalisations de projets, résolutions de problèmes complexes, recherches, stages.

L’intérêt de la pédagogie par compétences est de contraindre l’apprenant à réfléchir dans l’action mais aussi sur l’action au moment de l’évaluation. L’évaluation doit fournir une preuve de l’apprentissage. Dans l’enseignement disciplinaire, elle est déterminée par le professeur qui juge et estime. Dans la démarche par compétences, c’est à l’élève de fournir les preuves de son apprentissage, du développement de son savoir, son savoir-faire et son savoir-être. On peut avoir recours à plusieurs méthodes : auto-évaluation, portfolio ou dossier d’apprentissage réalisés intégralement par l’apprenant. Bien entendu, celui-ci doit être guidé dans le travail afin qu’il puisse comprendre ce qui est attendu de lui. Au fur et à mesure de sa scolarité, il doit ainsi acquérir de plus en plus d’autonomie dans ce domaine. Cela oblige l’enseignant à expliciter ses attentes.

 

Dans cette approche par compétences, les connaissances deviennent des outils. Elles ne sont pas du tout négligées, bien au contraire, elles constituent des clés essentielles dans le développement du parcours. L’enseignement par compétences nécessite d’acquérir de nombreux savoirs.

 

 

Carine Poirier, auteure et cofondatrice de parenthesenomade.fr, pour Pass éducation