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Neuroatypie et harcèlement scolaire | Témoignage pour le maintien de l’IEF en 2021

En 2013, j’avais déjà vaguement entendu parlé de l’IEF (Instruction En Famille) -communément appelée l’école à la maison. Je n’y pensais pas vraiment, ce n’était pas un projet de vie, un choix de vie. A cette époque, je faisais encore confiance à l’institution de l’Education nationale. Je me nomme Delphine, je suis mère de trois enfants atypiques et si au départ, ce n’était pas mon choix que d’instruire mes enfants à la maison, aujourd’hui, ça l’est totalement notamment pour mon dernier enfant âgé de 7 ans et demi.

Comment est-ce que ça a commencé ?

En mai 2013, Estebán, mon aîné, s’est mis à refuser d’aller au collège en classe de 6èmeA peine 2 ans auparavant, il vivait le décès de mon papa et en février le décès de ma maman avec qui il était très lié. Immédiatement, on a pensé que ces drames l’avaient tellement affecté que j’ai pris rapidement un rendez-vous avec une psychologue. Au bout de quelques séances, il s’avère que ce n’était pas vraiment cela qui l’empêchait de mettre les pieds au collège. Lors d’une dernière séance, Estebán consent à s’exprimer et à poser la question de son ennui dans sa classe. Ni une ni deux, la professionnelle décide de lui faire passer un test de QI. De mon côté, je passe des heures à m’informer, à m’inscrire au sein de groupe sur facebook pour en savoir plus. Je dévore les livres sur le sujet et finis par maîtriser différents fonctionnements atypiques comme le haut potentiel, le tda/h, le TSA etc… Le verdict tombe, Estebán a un QI supérieur à la moyenne. Nous étions en fin d’année scolaire, on décide de préparer avec la direction du collège sa rentrée en 5ème, on informe les professeurs, on aborde gentiment les mots comme phobie scolaire, troubles anxieux, ennuis en classe etc… Quelle n’a pas été ma surprise de constater que ces termes semblaient fantaisistes pour la majorité des professeurs ! D’une maman agréable, cultivée, je suis devenue en quelques réunions, la maman qui couve trop son enfant, qui surestime les capacités de son fils, limite orgueilleuse et mélodramatique. Ils ont pourtant vu de leurs propres yeux ce qui se passait lorsqu’on forçait Estebán à se rendre au collège sur les « conseils » avisés d’une autre psychologue comportementaliste qui considérait mon fils comme étant un enfant capricieux, addict des écrans. Malgré des scènes, qui d’ailleurs effrayaient certains autres élèves, il fallait justifier les absences ! Je décide de prendre contact avec notre médecin (qui soit dit en passant m’a l’air atypique aussi), il fournit un certificat médical mettant fin au calvaire d’Estebán. Pendant les vacances scolaires, je décide de continuer mes recherches, je commence déjà à soupçonner que seul le fonctionnement d’un enfant à haut potentiel n’explique pas tout le comportement de mon fils qui devint ingérable à la maison. Confiante et naïve, Estebán est à nouveau inscrit dans le même collège pour la rentrée en 5èmeLe pauvre garçon ne tient pas 15 jours ! Et là, le combat débute ! Je lui fais faire un essai dans un autre collège, sans succès ! Cette fois-ci, on me demande d’aller consulter, non pas pour mon fils mais pour moi, un psychiatre ! Je ne me décourage pas, je passe un appel auprès d’un psychologue exerçant à 2h de chez moi, spécialisé dans ce type de situation. Il m’accorde un long moment, m’écoute attentivement, examine le résultat du test de QI, me propose de faire passer un autre test car il observe des écarts de plus de 25 points entre certains items, il souhaite rencontrer mon fils. On prend immédiatement rendez-vous, il a déjà une petite idée des raisons de tout ce qui nous arrive. J’inscris mon fils au CNED réglementé. L’initiative, trop tardive ne rencontre aucun succès. Estebán n’est absolument plus motivé, le moral dans les baskets, il me confie qu’il ne trouve aucun sens aux cours qu’on l’oblige à suivre. Partant de là, je me plonge dans la création d’une école alternative et inclusive, non pas pour l’accueillir lui mais pour permettre aux enfants et parents de trouver une autre solution lorsqu’il y en a plus aucune ! J’entre donc dans l’aventure de l’IEF parallèlement à la création de cette école qui ne laisserait personne de côté. Parce que le problème, il est là ! Estebán reçoit un diagnostic d’enfant avec un déficit attentionnel sans hyperactivité motrice mais cérébrale et impulsivité et celui d’autiste Asperger -l’appelation ayant changé depuis : TSA-.

Tout s’expliquait ! Et c’est pour cette raison que j’étais motivée par la création d’une école qui laisse l’enfant aller à son rythme, rapide ou non, qui respecte son fonctionnement cognitif avec bienveillance. Ça n’empêche que ça ne changeait rien à la situation de mon fils qui, chaque année, tentait de faire une rentrée scolaire qui finissait en fiasco au bout de 3 semaines. Il a eu le courage de tenir 3 mois durant sa 3ème dans un collège de qualité (privé sous contrat), malheureusement, ses difficultés à se socialiser, (il n’avait plus la force de faire comme si tout allait bien comme en maternelle et en primaire), sa fatigue chronique car mine de rien, il dépensait beaucoup d’énergie à paraître comme un ado comme les autres, finissait par anéantir le peu de motivation qui lui restait.

Pire encore, parce que l’inclusion, la tolérance, l’ouverture d’esprit ne sont ni enseignés à l’école et trop peu dans les familles non concernées, Estebán, dans un silence complet, a connu pendant ces 3 mois de scolarisation du harcèlement ! J’ai donc, après 3 années de galère, décidé de sortir mon fils du système ! J’ai fini par lâcher prise, j’ai opté pour le « unschooling », Estebán était certes, très souvent devant son ordinateur mais c’est ce qui lui a permis d’apprendre tout ce qu’il sait aujourd’hui. Dans sa bulle, protégé des agressions extérieures, il fait son chemin. Encore aujourd’hui, le traumatisme est présent et malgré une éducation bienveillante et positive, son estime de lui-même est au plus bas. Il n’a jamais retrouvé l’envie d’explorer ailleurs que sur le net, il ignore ce qu’il souhaite faire dans l’avenir. Il y a quelques jours, il me confiait son mal être, je me suis engagée auprès de lui. Je lui trouverais un psychologue qui saura l’écouter sans vouloir le transformer. Pour Estebán, l’IEF, ce n’était donc pas un choix délibéré.

Concernant son petit frère, il était évident que je n’allais pas retomber dans les mêmes scénarios. L’Education nationale, malgré de jolis textes d’inclusion, de bienveillance, parlant même de pédagogies différenciées, ne donne aucun moyen à ses enseignant(e)s, directrices et directeurs de faire un travail de qualité. Ils sont trop peu formés, les élèves trop nombreux en classe, le métier non valorisé et mal rémunéré sans parler de tous ceux qui, malgré ça, n’ont pas l’âme d’enseigner, maltraite les enfants (et leurs parents indirectement) et n’ont rien à faire dans un établissement quel qu’il soit.

Et pourquoi ne pas intégrer une évaluation psychologique au sein du concours d’entrée à la formation des futurs enseignants ?

 

 

Delphine Bessière, pour Pass éducation