La déscolarisation : un état d’esprit

Déscolariser un enfant (ou ne pas le scolariser du tout), ce n’est pas juste le retirer de l’école et faire les quelques papiers exigés par la réglementation administrative. C’est en premier lieu, à la fois le geste de : 

  • retirer ses enfants de l’école classique
  • pratiquer une instruction soi-même, en famille, hors du système pensé et voulu par l’État.

Déscolariser un enfant (ou, une fois encore, ne pas le scolariser du tout), c’est aussi tout un processus mental : c’est véritablement un état d’esprit, une nouvelle façon de voir les choses, d’envisager sa vie et l’avenir de son enfant. C’est, dans certaines familles (de plus en plus nombreuses) à la fois une remise en question du système global, et l’adoption de nouveaux paradigmes d’éducation, et, au-delà, de la vie elle-même. Bien sûr, ça ne vient pas d’un coup. Il s’agit d’un cheminement intérieur, qui se fait étapes par étapes, et va souvent de pair avec d’autres changements – philosophiques, écologiques, politiques. C’est pourquoi on parle d’une vraie « philosophie de vie ».

 

Une démarche anti-conformiste

Choisir de déscolariser son enfant, c’est d’abord se rebeller contre le système. C’est remettre en cause un mode de fonctionnement qui est établi depuis des années, et que finalement assez peu de gens acceptent de remettre en question (en tout cas en le disant haut et fort et en passant à l’acte, comme par exemple, précisément, via la démarche de déscolarisation de l’enfant). Choisir de déscolariser un enfant, c’est questionner la légitimité des savoirs dispensés, c’est remettre en cause leur toute-puissance et leur universalité. C’est refuser de laisser l’éducation de nos enfants dans les mains de l’institution étatique. C’est s’impliquer pleinement dans l’avenir de son enfant, c’est reprendre en mains son rôle de parent. Au-delà, c’est remettre en cause notre mode de vie occidental, basé sur le patriarcat, le capitalisme, le séparatisme et l’adultisme – des relations de pouvoir, des rapports de force, des liens dominants-dominés. Il s’agit donc à la fois de nier, et de ne pas intégrer le système qui régit notre société depuis des siècles. Mélissa Plavis, dans son ouvrage consacré au unschooling (« Apprendre par soi-même, avec les autres, dans le monde ») parle de « déconstruction des a priori ». En France, le mouvement a quelques décennies derrière lui, mais il prend plus d’ampleur ces dernières années. C’est surtout Catherine Becker qui a véhiculé ces idées au départ, à travers deux ouvrages : « Insoumission à l’école obligatoire », sorti en 1985, et « Les Cahiers au feu », sorti en 1988. Elle y prône le combat contre l’école, et globalement contre tout ce qui est obligatoire et/ou qui exerce un « pouvoir coercitif » : « l’injustice scolaire, la peur, l’oppression des adultes sur les enfants, la notion d’enseignants/maîtres, la confusion entre apprendre, savoir et connaître, l’assujettissement des filles, la « normalisation ». Aujourd’hui, on peut citer l’influence d’auteurs comme Léandre Bergeron, Thierry Pardo, Bernard Collot, ou encore Ramïn Farhangi, créateur de l’École Dynamique à Paris, puis de l’éco-village de Pourgues – exemple parfait de l’application de cette nouvelle « philosophie de vie », de cette déscolarisation à l’échelle de la vie.

La déscolarisation mentale

Afin de pouvoir déscolariser son enfant et engager un processus de changement sans le vouer à l’échec, le parent doit se déscolariser dans sa tête : Mélissa Plavis parle de « déscolarisation de sa (propre) pensée et de son (propre) fonctionnement ». En effet, notre passé culturel occidental est très scolaro-centré. Nous sommes habitués, ou plutôt conditionnés, depuis des siècles, à être dominés par quelqu’un d’autre – nos parents d’abord, nos instits ensuite – le choix des mots « maître » et « maîtresse » est à cet égard clairement révélateur – puis les patrons, mais aussi les médecins, les pharmaciens, les plombiers, … Il y a toujours quelqu’un qui sait mieux que nous, et encore plus quand on est un enfant. C’est devenu un fait inébranlable, acquis, que peu osent discuter. Déscolariser un enfant, c’est reprendre en main sa vie : c’est décider d’un nouveau mode de fonctionnement, c’est se démarquer d’un système avec lequel on n’est pas d’accord. C’est se déconditionner du système. C’est refuser de laisser quelqu’un d’autre (un inconnu, représentant de l’autorité de l’État) prendre en main notre vie et celle de nos enfants. C’est aussi refuser que le rythme de l’école s’impose à nos vies, ce qui prépare l’enfant à refuser que plus tard, le rythme du monde du travail s’impose à sa vie. C’est refuser de suivre tel manuel, tel auteur, telle pédagogie imposés, mais au contraire privilégier un manuel, un auteur, une pédagogie, qui ressemblent plus à nos idées. C’est décider de notre vie nous-même, non pas laisser le système, via un de ses quelconques représentants, décider pour nous.

Partager plutôt qu’imposer

Pour Jean-Pierre Lepri (ancien inspecteur de l’Éducation Nationale reconverti au unschooling), déscolariser un enfant c’est sortir de la relation dominant-dominé caractéristique de notre société, ainsi que de la notion très adultiste du « c’est pour ton bien » : « je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi ». D’aucuns objecteront que forcément, un adulte sait mieux qu’un enfant ; forcément, un professionnel sait plus qu’un amateur. Oui, il y a toujours quelqu’un qui en sait plus que nous. Mais nous aussi, dans notre domaine de prédilection, nous en savons plus qu’un autre. Et les enfants eux, savent bien mieux que nous respecter le vivant, avoir de l’empathie pour autrui, s’émerveiller du monde qui les entoure, et donner du sens à ce qui nous semble insignifiant – entre autres. L’idée en fait est de se débarrasser de la transmission patriarcale avec un schéma de communication de dominant à soumis. L’idée est bien de partager ce que l’on sait, d’en faire profiter d’autres, plutôt que de le leur imposer. C’est adopter un mode de communication horizontal, d’égal à égal, plutôt que vertical. C’est reconnaître que chacun peut apporter à l’autre – il n’y a plus de maître et d’élève, mais des êtres qui partagent.

Pas d’éducation, pas de pédagogie

La déscolarisation mentale aboutit généralement assez rapidement à un changement total de point de vue et de paradigme de l’éducation. Nombreuses sont les familles qui optent alors pour le unschooling, ou l’a-scolarisation.

Mener à bien la déscolarisation mentale : le lâcher-prise en IEF 

Afin de savoir sur quoi nous allons devoir lâcher prise, pour mener à bien cette déscolarisation mentale, commençons par nous demander quelles sont les principales angoisses des parents en IEF ?

  • la peur de l’inspection
  • la peur du non-respect des obligations légales
  • la peur de ne pas en « faire assez »
  • l’influence parfois très anxiogène des posts négatifs (abondants) sur les réseaux sociaux
  • être à la hauteur des exigences du socle commun et suivre le rythme imposé par l’éducation nationale.

Moins évident, parce que masqué par une sorte de consensus national, c’est le manque de confiance culturel des parents : 

  • dans les capacités d’apprentissage de l’enfant
  • dans leurs propres compétences à accompagner ces apprentissages

Il est essentiel de souffler et de lâcher prise, notamment en se libérant de la surcharge de pressions et d’attentes qui tentent de s’imposer aux familles déscolarisantes – via la société, l’entourage familial et amical, via les exigences de l’Éducation nationale aussi (et son fameux socle commun des connaissances). Il est alors important de mener des recherches, de faire un travail sur soi : afin de (re)découvrir nos compétences par exemple, mais aussi nos vrais centres d’intérêt. Bien sûr, il est essentiel de laisser les enfants pratiquer la même démarche, et de les encourager à articuler leurs efforts autour de leurs intérêts propres (la démarche peut être longue, surtout pour des enfants qui ont été scolarisés longtemps). Une autre méthode efficace est de se concentrer sur les avantages de l’Instruction en famille.

Principaux avantages de la déscolarisation par rapport à l’école 

  • La liberté à la fois dans les rythmes de travail, dans le choix des apprentissages et dans la manière de les mener
  • Les apprentissages sont illimités, permanents, et ouverts à tous (les parents apprennent aussi)
  • Les apprentissages ne sont pas soumis à un système compétitif, avec des notes et des évaluations : la déscolarisation redéfinit totalement les enjeux
  • On est libre de choisir ses relations sociales (par opposition à être enfermé toute la journée avec des enfants du même âge et des adultes que l’on ne connaît pas)
  • On est ouverts sur le monde qui devient le lieu d’apprentissage (par opposition aux 4 murs de la salle de classe)
  • On reprend en main les apprentissages de nos enfants, et au-delà, de leur vie toute entière, à travers la construction de leur personnalité et de leur histoire : ce n’est pas un.e instit inconnu.e qui va décider pour eux/nous sans même les connaître. On refuse leur conditionnement au système patriarcal et hiérarchisé. On leur permet de vivre véritablement leur rôle d’individu qui a ses propres richesses à partager (par opposition à être soumis à un maître)

La déscolarisation n’est pas juste un acte, c’est une décision qui change radicalement la vie quotidienne, et s’inscrit dans toute une démarche parentale différente et anti-conformiste, une démarche plus respectueuse de l’individu, à l’écoute de sa personnalité et de ses besoins. De fait, les familles déscolarisantes s’inscrivent souvent également dans une démarche 

  • nVEO (contre les Violences Éducatives Ordinaires)
  • non-séparatiste
  • respectueuse des besoins de l’enfant
  • contre la hiérarchie et une société à transmission verticale (adultisme)
  • contre le fait que l’école se substitue aux parents dans les choix éducatifs de leurs propres enfants

etc…

Derrière tout cela se cachent des idéologies sociales, économiques, écologiques, voire politiques et religieuses, qui ont choisi de s’affirmer plutôt que de continuer à vivre dans l’ombre. C’est sortir de tout un monde, pour en créer un autre. C’est devenir à la fois acteur et réalisateur de sa propre vie.

 

 

Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation