Quelles sont les exigences du socle commun pour les enfants de maternelle, récemment soumis à l’obligation d’instruction ?

Le monde de la petite enfance en France a été bouleversé ces derniers mois avec le passage de la Loi Blanquer, qui impose l’obligation d’instruction pour les enfants dès l’âge de 3 ans, l’obligation d’assiduité pour les enfants scolarisés, l’obligation d’instruction dans les jardins d’enfants, et autorise les inspections inopinées, pour le plus grand désarroi des familles en IEF (Instruction en Famille, aussi appelée « école à la maison »). Cela ne signifie pas que toutes les familles en IEF seront forcément inspectées par surprise, c’est juste un nouveau droit qu’ont les inspecteurs de l’IA. Quoiqu’il en soit, les contrôles classiques avec lettre informant les parents au préalable sont toujours d’actualité, et concernent donc aussi les enfants dès l’âge de 3 ans.

Imposer l’instruction à des enfants aussi jeunes déroute beaucoup de parents, mais aussi beaucoup d’instituteurs. Les sites gouvernementaux n’ont pas encore été mis à jour, et le fameux socle commun et ses exigences, consultable en suivant ce lien :

https://www.education.gouv.fr/cid2770/le-socle-commun-de-connaissances-et-de-competences.html#Qu_apprennent_les_eleves_de_6_a_16_ans

ne mentionne les exigences qu’à partir de 6 ans (et jusqu’à 16 ans, alors que le parcours des élèves doit désormais, selon la nouvelle loi, s’étendre jusqu’à 18 ans). Nous ne savons pas encore quand ces sites seront mis à jour, mais nous ne manquerons pas bien sûr de vous tenir informés.

Ainsi que le signale le site du gouvernement : « Le cycle 1, cycle des apprentissages premiers, couvre la petite, moyenne et grande section de maternelle. Il précède la période de scolarité obligatoire » (mmmm, ce serait bien de mettre à jour quand même). Les exigences du cycle 1 n’ont donc pas encore été détaillées par l’Éducation Nationale. Tous les acteurs de ces enseignements se retrouvent donc dans le flou le plus total. 

Comment organiser l’instruction de l’enfant ? 

Que lui apprendre ? 

Vers quoi orienter les apprentissages ? 

Et, grande question, comment vont bien pouvoir se dérouler les inspections pour des enfants aussi jeunes, qui souvent ne savent ni lire ni écrire ?

Pour le moment, les personnes enseignant aux enfants de cycle 1 sont invitées à se référer au programme officiel publié en 2015, que vous pourrez trouver ici : 

https://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=86940

Comme vous l’aurez sans doute remarqué si vous avez scolarisé des enfants en maternelle, un accent certain est mis sur le langage : il s’agit de « mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », comme le dit cette formulation finalement plutôt vague, que l’on retrouve à chaque détour de page d’un cahier, à partir de la PS. Plus concrètement, il est clairement attendu des enfants de maternelle qu’ils sachent parler un bon français, avec une syntaxe évoluée, une phonétique et une grammaire correctement utilisées (les textes parlent de « conscience phonétique »), et un vocabulaire riche et varié. L’enfant doit également comprendre un texte que lui lit l’adulte, il doit être capable d’interpréter des images, et de saisir les nuances de tonalité du lecteur. Oui oui, tout ça. Un enfant quittant la maternelle doit être prêt à apprendre à lire et à écrire, les lacunes et autres retards ne sont donc pas envisageables. Pour ce faire, les apprentissages doivent commencer au plus tôt, et sont obligatoires donc maintenant, dès la PS. 

Si cette priorité absolue laisse du temps libre (l’Éducation Nationale insiste vraiment très très fortement sur le langage), les enfants à partir de 3 ans doivent l’utiliser pour développer d’autres compétences, attendues pour la fin du cycle 1 : 

  • Utiliser les arts visuels (peinture, sculpture, photographie, etc) ;
  • Utiliser les arts sonores (chanson, musique instrumentale, etc) ;
  • Commencer à utiliser les outils de structuration de la pensée (il n’y a pas plus de précision sur le site de l’EN) ;
  • Utiliser les nombres jusqu’à 10 (utilisation, ordre, quantité exprimée, etc) ;
  • Explorer le monde (concept très général non détaillé sur le site du ministère) ;
  • Explorer les formes géométriques primaires (carré, triangle) ainsi que les grandeurs telles que les longueurs, les masses, les contenances. Le ministère recommande à cet égard la manipulation, et l’expression d’observations par le langage (de manière générale, chaque activité en maternelle doit être saisie comme une opportunité de travailler les compétences des enfants pour le langage) ;
  • Se repérer dans le temps et dans l’espace : développer les notions d’occupation du temps et de l’espace, prendre connaissance de son corps, de ses mouvements et de ses positions, mais aussi de ceux et celles des autres, et des objets ;
  • Pratiquer des activités physiques (présentées par l’Éducation Nationale comme essentielles dans le développement de la socialisation et de la notion d’égalité fille/garçon), faire prendre conscience à l’enfant des limites et des capacités de son corps, développer son équilibre, etc ;
  • Explorer le vivant, les objets, la matière : l’enfant doit apprendre, à travers les différentes activités qui pourront lui être proposées, à différencier le vivant et le non-vivant, à connaître les objets utilisés dans la vie quotidienne, à identifier les différentes matières qui peuvent être rencontrées dans la vie courante.

Il est bien spécifié sur le site gouvernemental que dans chacun de ses domaines l’adulte doit non seulement saisir mais aussi provoquer toute opportunité de développer les compétences en langage des enfantset ce dès la PS. On leur demande par exemple de formuler leurs observations selon certaines règles, de développer des phrases, etc. Chaque expression de l’enfant doit répondre aux règles dictées par l’adulte, quelles que soient les circonstances (comme faire une phrase complète, par exemple, ou bien ne formuler que des interrogations, etc).

En école traditionnelle, les compétences de chaque enfant sont listées dans un carnet de suivi sur tout le déroulement du cycle 1, et la synthèse de ces compétences permet, en fin de cycle (donc à la fin de la GS), d’évaluer les acquis de l’enfant. On peut donc supposer que les inspections des enfants instruits en famille pour les niveaux PS, MS, et GS suivront de près l’acquisition des compétences listées dans ces livrets de suivi. Soulignons que ces livrets incluent pour chacune des compétences listées une graduation de l’acquis – dont les effets délétères sur l’estime de soi de l’enfant (tant que sur la sévérité des parents dans certains cas) sont selon nous aussi nocifs que le système de notation.

Un des objectifs déclarés de la Loi Blanquer est que, à travers le travail de toutes ces compétences évoquées ci-dessus, les inégalités entre enfants soient réduites – de quoi débattre longuement.

Il est essentiel de noter que trois notes ont été ajoutées par JM Blanquer fin mai 2019, au programme officiel publié en 2015. 

La première prévoit d’insister encore davantage sur les apprentissages liés au langage, afin de prévenir notamment l’échec scolaire – autrement dit, les enfants doivent travailler plus. Il y est également spécifié que le geste graphique doit être plus développé, afin de mener l’enfant de maternelle vers l’écriture. 

La seconde note précise que l’apprentissage des nombres jusqu’à 10 doit être acquis en maternelle. L’enfant doit être capable de dénombrer des quantités, prendre un nombre d’objets donné qui lui sera demandé, décomposer et recomposer des nombres (4 c’est 2 et 2). Il doit même être capable de résoudre des problèmes concrets impliquant des nombres de 1 à 10.

La troisième note prévoit l’apprentissage des langues étrangères en maternelle. Cette note parle « d’éveil à la diversité linguistique », c’est-à-dire à la fois apprendre aux enfants qu’il existe une grande diversité de langues, et les initier aux secrets d’une langue étrangère en particulier. Cet apprentissage doit, souligne le message de l’EN, se faire de manière rigoureuse et régulière, condition indispensable à un bon apprentissage ouvrant sur les développements prévus au cycle 2. Les adultes enseignant sont ainsi fortement invités à stimuler la curiosité et le goût de l’enfant pour les langues étrangères, ils doivent faire naître en eux la demande de l’apprentissage de langue étrangère.

Suivant toujours la même logique, il est précisé dans ces notes que ces apprentissages doivent aussi être l’occasion d’asseoir et de développer les compétences de chacun en matière de … langage.

Vous l’aurez compris, l’école maternelle ce n’est pas l’école de la confiance, mais bien l’école du langage – et il y a fort à parier que les enfants instruits en famille auront droit à des inspections serrées visant à évaluer leur niveau dans ce domaine.

 

 

Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation