Des émotions pour grandir ensemble, Catherine Dumonteil Kremer

Pour cette nouvelle participation au Festival de l’École de la Vie, Catherine Dumonteil Kremer souhaite reprendre le sujet des émotions des enfants avec un angle différent. Elle choisit donc l’angle de la normalité, le fait de se sentir normal, de sentir que nos enfants sont normaux. Vous ne trouvez pas que cela nous met la pression lorsqu’on nous dit « ce n’est pas normal que tu fasses ceci », « ce n’est pas normal d’être au chômage », « ce n’est pas normal d’être aussi triste », « ce n’est pas normal que ton enfant fasse des crises 10 fois par jour »… ?

Catherine Dumonteil Kremer nous raconte cette anecdote qu’elle a vécue dans un train : un petit garçon de 18 mois tapait sur un jouet musical. Sa maman a voulu l’empêcher de toucher à son jouet et, immédiatement, l’enfant a fait une sorte de crise de rage, de tristesse. Une mamie, installée à côté, a dit « mais ce n’est pas normal qu’il se mette dans cet état-là. ». Catherine Dumonteil Kremer trouve que, dans notre société, il y a quelque chose d’extrêmement pesant autour de la normalité.

Vidéo conférence de Catherine Dumonteil Kremer à retrouver en fin d’article

Normal ou pathologique ?

Catherine Dumonteil Kremer a écouté une conférence d’un professeur de philosophie à Sciences Po et à l’université de Créteil sur la normalité et sur le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux, qui est un ouvrage de référence décrivant et classifiant les troubles mentaux. Les propos de ce professeur étaient de dire que la frontière est extrêmement floue entre le normal et l’anormal parce que notre seuil de tolérance a beaucoup baissé face à certaine manifestation. Pour Catherine Dumonteil Kremer, ces manifestations sont aussi émotionnelles, au moins à 60 à 70 %. Le professeur parlait des colères des enfants de 2 ans ou 3 ans et se demandait si elles étaient normales ou pathologiques. Catherine Dumonteil Kremer est là pour nous dire que oui, c’est parfaitement normal. Elle trouve que cette thématique de la normalité est très lourde parce qu’à partir du moment où l’on commence à nous dire « mais ce n’est pas normal que ton enfant fasse autant de crises », cela commence à nous tarauder. Et nous avons envie que notre enfant entre dans cette normalité pour qu’il soit accepté par les autres, pour qu’il soit intégré dans notre société, ce qui est tout à fait juste et adapté. On a tous envie d’avoir des amis, etc. Mais il faut savoir que la santé psychologique n’est pas définie par ce qui peut être soigné, mais elle est définie par des qualités adaptatives que l’on peut avoir. C’est-à-dire que l’on n’est plus dans la recherche d’un état relativement paisible, mais en recherche d’un individu qui fonctionne de façon optimale. Et tout ce qui est de l’ordre des vulnérabilités sociales qui nous atteignent très fort se répercute sur les enfants. Les pressions économiques, sociales et d’autres sortes font que l’on se sent mal et l’on va chercher souvent la thérapie, le médicament alors que nous avons une thérapie à notre disposition qui est très efficace qui est la thérapie émotionnelle, les émotions. Et l’on comprend finalement à l’envers la décharge émotionnelle. 

Comment fonctionnent les émotions chez les enfants et les adultes ?

Nous avons des situations de contrariété ou de tensions que l’on empile plus ou moins parce qu’on nous a beaucoup élevés à retenir nos émotions. 

Intervention d’une personne : 

« J’ai un enfant qui n’est pas du tout normal comme je l’expliquais à ma voisine qui connaît puisqu’elle le voit. Et cela fait tellement de bien justement d’avoir des personnes comme vous qui prennent la parole en leur nom. »

Quand on est tout petit, qu’est-ce qui se passe quand on tombe ? On tombe, on pleure, on repart, on a des contrariétés, on repart. Mais dans notre éducation, nous avons eu nos parents qui nous ont empêchés de faire trop de bruit. Quand un enfant tombe, on lui dit s’il s’exprime un peu trop fortement, on va lui dire « ça va tout va bien t’inquiètes pas, tu ne t’es pas fait mal ». En agissant comme cela, nous nions l’émotion qu’il éprouve et nous l’empêchons de récupérer. Parce que les émotions, c’est un processus de récupération de notre point d’équilibre, c’est-à-dire que nous avons un certain nombre de tensions. À un moment donné, nous allons les décharger et sous différentes formes généralement. La tristesse est évacuée par les pleurs, la peur s’évacue par les tremblements, la gêne et la joie, qui sont aussi des émotions fortes, s’évacuent par le rire et nous avons aussi les bâillements qui font partie de l’arsenal émotionnel. Tous ces processus physiologiques de guérison sont à notre disposition pour redevenir à notre état normal. Donc nous nous trompons d’une certaine façon quand nous essayons d’empêcher ces process, ces émotions, de s’exprimer d’une façon tout à fait adaptée à notre être. Ce processus est ainsi complètement adapté aux êtres humains et il nous permet de guérir de tout ce qui peut nous arriver et c’est extrêmement pratique de l’avoir au quotidien. Catherine Dumonteil Kremer explique que si elle devait choisir quelque chose entre les mots et les émotions, elle choisit les émotions parce qu’avec ses enfants, c’est ce qui l’a le plus aidée. Ça l’a énormément pesé aussi au début parce que ça l’énervait comme tout le monde, et puis ça l’énerve encore soyons clair, que ses filles pleurent, crient, etc. Mais elle a compris qu’en accueillant leurs émotions, elle leur permettait de passer à autre chose. D’une certaine manière, ce n’est pas la souffrance que nous essayons d’éviter à nos enfants, mais nous leur apprenons à la gérer, entre guillemets, dans la mesure où, quand ils savent qu’ils sont accueillis dans leurs émotions, ils vont vraiment passer à autre chose. Il y a vraiment quelque chose de cet ordre-là qui se passe.

Témoignage d’une personne : 

« Moi ce que je remarque aussi dans ce que vous dites c’est que quand on accueille l’émotion finalement ça dure très peu de temps. Cela nous mobilise 5, 10, 30 secondes à être vraiment là pour l’enfant et finalement on est seul au monde avec lui. Après, il repart, il passe à autre chose, il évacue. On a accueilli l’émotion parce que c’est ce qu’il attend finalement et effectivement il passe très vite à autre chose. Ça dure quoi 30 secondes/une minute. C’est quoi une minute alors que si on nie cette émotion, on en a pour 15 minutes derrière, voire la journée ? À chaque petite chose qui va accrocher ça repart tout simplement. Et effectivement si on prend 30 secondes ou une minute pour cet enfant on est tranquille après. »

Catherine Dumonteil Kremer nous raconte qu’elle n’a pas connu de crises qui durent 30 secondes ou 1 minute. Elle a connu des crises de colère dévastatrice énormes qui ont duré un temps fou, pour elle à l’époque où elle était jeune parent et où elle trouvait que c’était hyper long un quart d’heure, vingt minutes. En plus, un enfant qui est en colère s’en prend à vous, ça fait partie aussi de l’écoute que l’on peut donner à nos enfants. Les écouter en colère c’est dur, c’est très difficile.

Question du public : 

« Je voulais savoir ce que vous entendiez par accueillir les émotions parce que par exemple nous on a notre fille qui va tous les matins à l’école et c’est un déchirement, c’est une grosse tristesse de séparation. Elle a vraiment verbalisé que c’était la séparation parents-enfants qui la dérangeait. Donc on accueille cette émotion, on lui fait faire des exercices de respiration pour que ça passe, mais est-ce que ces exercices de respiration accueillent l’émotion ou ça la fait entrer en elle finalement ? »

La réponse de Catherine Dumonteil Kremer :

Il ne faut pas tout mélanger : il y a des systèmes qui sont recouvrant des émotions et des systèmes qui sont découvrant des émotions. Ce sont ceux qui laissent les émotions sortir, donc avec des systèmes découvrant, qui sont efficaces parce qu’ils déracinent complètement la souffrance que l’enfant éprouve. 

Au lieu de tailler bien le gazon, qui va repousser évidemment un moment donné, il va falloir de nouveau passer la tondeuse. Ça, c’est le système recouvrant. Parfois, nous avons besoin du recouvrant, c’est évident. Nous avons besoin de respirer, de méditer, parce que ça amène carrément autre chose en plus la méditation, c’est très différent. Nous avons besoin d’être dans un certain état parce que nous allons aller travailler, en tant qu’adulte, parce que la vie est comme ça. Votre enfant à un moment donné, il va s’arrêter de pleurer, pas parce qu’il n’y a plus de larmes à sa disposition, mais plutôt parce qu’il n’y a plus d’accueil de ses larmes. Et, quand on est enseignant, nous ne pouvons pas écouter 25 enfants pleurer, c’est très difficile le métier d’enseignant, au moment de la rentrée scolaire en particulier. Mais que votre enfant pleure quand ils se séparent de vous, là encore c’est complètement normal, et ça va se produire pendant un certain temps. Catherine Dumonteil Kremer a envie de vous dire qu’il vaut mieux qu’il pleure plutôt qu’il parte avec son paquet sur le cœur et que les émotions s’empilent en lui et s’enkystent en lui. Finalement, en devenant adulte, cela va lui donner des comportements peut-être agressifs, disproportionnés, anarchiques comme nous en avons un petit peu tous finalement. Des blessures d’enfants qui restent parce que les émotions du passé n’ont pas pu être exprimées. Catherine Dumonteil Kremer pense qu’exprimer ses émotions, c’est un travail quotidien, y compris pour nous et elle trouve qu’aujourd’hui nous sommes énormément informés. Il y a 10 ou 15 ans, quand elle annonçait qu’écouter les émotions de nos enfants était une bonne chose, il n’y avait pas grand monde qui était au courant. Mais, aujourd’hui elle croit que tout le monde le sait, mais ce qui manque c’est la pratique et la compréhension de l’intérieur. C’est-à-dire comprendre que c’est surtout quand on se fait écouter soi dans nos émotions en tant qu’adulte qu’on comprend le cheminement de notre enfant quand on l’écoute dans ses émotions.

Écouter ses propres émotions

Catherine Dumonteil Kremer se rappelle qu’elle a découvert l’écoute des émotions par le biais de Brigitte Guimbal qui travaillent avec elle chez « Peps » et pour qui elle a une gratitude infinie. Brigitte Guimbal avait écrit un article dans un vieux journal appelé « L’enfant et la vie ». Quand Catherine Dumonteil Kremer a lu cet article, elle s’est dit bingo c’est ça, elle l’appelle. Il se trouvait que Brigitte Guimbal était trésorière de l’association « Les enfants d’abord » à laquelle elle avait fait un chèque sans provision et donc elle avait été en contact avec elle pour cette raison honteuse. Du coup, Catherine Dumonteil Kremer l’appelle et lui dit, mais qu’est-ce que c’est cette histoire ? Elle a donc essayé de pratiquer, elle d’abord parce que tant qu’elle lisait dans « L’enfant et la vie » d’écouter pleurer son enfant à l’état solitaire, elle se demandait ce que cela voulait dire et elle a compris le jour où le processus elle l’a fait pour elle. Elle a été écoutée, elle a pu pleurer, elle a fait des crises de rage énormes, elle a eu des circonstances dans sa vie qui ont été très difficiles et perturbantes et elle a toujours eu dans ces circonstances cette écoute, quelqu’un pour l’écouter dans ses émotions et ça lui a permis de récupérer sa clarté, son intelligence, sa créativité, etc. et ça l’a beaucoup aidé dans sa vie. Catherine Dumonteil Kremer pense donc sincèrement que lire des livres c’est super, regarder des vidéos c’est génial, mais ça ne fait que lancer quelque chose. C’est pratiquer, qu’il faut mettre en place. Il va falloir que vous pratiquiez, que vous pleuriez volontiers, que vous fassiez des crises de rage dans un cadre de sécurité. Pas de vous mettre en colère devant vos enfants, car ça leur fait peur et ça les culpabilise, ce n’est pas l’idée. Mais l’idée c’est qu’à un moment donné et dans un cadre de sécurité, vous puissiez exprimer vos émotions et que vous vous rendiez compte de la blessure que vous avez réactivée…

Elle donne un exemple : à table ses enfants la « gonflent ». D’abord ils ne finissent pas leur assiette, et ça la saoule, et en plus, ils se lèvent sans arrêt, ils font le tour de la table en courant… Ça l’agace et du coup ça l’énerve tellement que cela réveille une blessure d’enfant en elle. La première chose qu’elle fait quand elle vit ce genre de situation, c’est de se demander comment cela se passait les repas chez elle, comment c’était à table avec ses parents. Dans les faits chez elle, cela se passait plutôt pas mal, mais elle sait qu’il y a beaucoup de gens pour qui c’était très difficile, qui ont été forcés à manger, qui ont été très blessés à table avec des histoires de « finis ton assiette » et « les enfants qui souffrent de la faim dans le monde », « le gaspillage », « tu manges trop tu vas être grosse ». Des parents qui vivent ce genre d’événement tous les jours, elle en connaît des milliers peut-être. L’alimentation est un gros problème. Alors une fois qu’elle a fait le lien entre ce qui s’est passé dans sa famille et ce qui se passe avec ses enfants, elle essaye de se concentrer un peu sur la blessure originelle et de pleurer ce qui vient. Et de toute façon, même si elle ne sait pas pourquoi elle pleure, à partir du moment où elle pleure, elle trouve que c’est génial, c’est bon, ça lui fait du bien, ça la soulage, ça l’apaise. Alors, une fois que nous avons pratiqué cette écoute des émotions, cette expression émotionnelle pour soi-même, nous comprenons vraiment ce que nous faisons avec nos enfants, nous le comprenons de l’intérieur. Ce n’est pas quelque chose qui doit se faire sur un plan théorique.

Les troubles de l’humeur

Un enfant sur huit souffre d’un trouble mental en France : la schizophrénie, l’autisme, l’hyperactivité, les troubles obsessionnels compulsifs, l’anorexie, la boulimie, l’anxiété et les troubles de l’humeur. Qu’est-ce que les troubles de l’humeur ? Cela veut dire que le trouble de l’humeur, le fait de faire une crise de rage, s’est passé du côté du mauvais côté de la barrière. Et donc cela veut dire qu’il va falloir le traiter et prendre des médicaments. Une étude a démontré qu’un étudiant sur deux à Harvard a admis prendre de la ritaline pendant ses études. La ritaline c’est un médicament assez curieux qui calme les enfants, mais qui est aussi un excitant pour les adultes. Il faut prendre le temps de réfléchir à tout ça parce que c’est extrêmement important. Nous sommes en train de nous éloigner de notre humanité. Nous sommes en train de voyager vers des sphères où nous allons être à distance de nous-mêmes. On nous propose d’être à distance de nous, de nous contrôler. Le contrôle est devenu une valeur. Tout ça n’est pas possible parce que cela ne nous permettra pas d’être en bonne santé physique et psychologique. Il y a beaucoup de chercheurs qui ont étudié les liens entre les émotions et la maladie. Catherine Dumonteil Kremer trouve que leurs travaux sont éclairants et surtout sur les émotions qui restent et qui s’enkystent en nous.

Intervention d’une personne du public :

« Bonjour Catherine, je suis ravie de te retrouver, je t’ai vu en conférence à Pau à la sortie de ton livre, il y a très longtemps. Je voudrais apporter mon témoignage de ma fille qui est née il y a plus de vingt ans maintenant. J’ai commencé l’écoute des émotions quand elle était in utero. En fait, j’ai commencé ça sur moi, ce processus, enceinte d’elle. J’ai deux autres enfants plus jeunes 10 ans et 7 ans aujourd’hui avec moi. Le témoignage que je voudrais apporter c’est que ce moment d’écoute de l’émotion de notre enfant, c’est le plus grand moment d’amour que l’on peut partager avec lui. Et c’est ça peut être la clé pour y accéder, pour être à l’intérieur et vivre des contacts yeux à yeux, âme à âme très forts et libérateurs. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point. Donc cela permet à nos enfants d’être eux-mêmes et de se diriger dans leur vie à leur manière et selon leur cœur, c’est super puissant. Alors, cela ne prend pas cinq secondes, ce n’est pas possible. Je ne sais pas qui a dit ça, mais ce n’est pas possible cinq secondes. Mais effectivement, cela peut être finalement très court, et plus les enfants sont suivant plus c’est facile. Et cela crée une relation adulte à adulte aujourd’hui de confiance qui est hyper profonde. »

Aujourd’hui, nous avons des enfants adultes qui ont été accompagnés de cette façon, en étant écoutés dans leurs émotions. Les paroles c’est bien, mais l’émotion c’est ce qui guérit. Finalement, le processus émotionnel d’accompagnement des enfants est relativement simple quand nous regardons les choses de loin, et même de près. Quand notre enfant appuie sur un de nos boutons rouges, cela nous fait monter dans les tours, ou pas. Et puis on se pose la question : ce n’est pas de sa faute à lui, c’est rarement de la faute de l’enfant, il n’y a pas de faute là-dedans, ni celle des parents, des grands-parents, ou des arrière-grands-parents. C’est une culture, c’est une tradition, la violence éducative ordinaire, qui s’est transmise de génération en génération parce qu’on n’avait pas les informations suffisantes et que finalement aujourd’hui on empile le résultat de centaines d’années d’éducation violente d’une certaine manière, et on a toutes ces émotions à décharger. Donc quand notre enfant nous agace, il nous rend un service immense, il nous fait grandir. Il va mettre la main sur nos blessures d’enfants et d’une certaine manière nous guider, sans le vouloir bien entendu, inconsciemment pour les travailler. Il y a de nombreuses façons de travailler, mais une manière efficace de les travailler est vraiment d’aller pleurer un bon coup, de faire une crise de rage si on peut.

Les crises de colère

C’est beaucoup plus difficile la crise de rage d’adultes, car petit nous avons subi beaucoup de violence quand nous étions en crise de rage, dès 2 ou 3 ans, quand on se roulait par terre. Demandez-vous ce que vos parents vous ont fait quand vous vous rouliez par terre. Comment cela a été accueilli, qu’est-ce qu’on vous a fait, parce que c’était plutôt quelque chose qui a puni avec violence quelquefois.

Question d’une personne :

« Une petite question en lien est ce que vous venez de dire : vous disiez tout à l’heure que lorsqu’on vit, nous adultes, des crises de rage ou des colères, il vaut mieux aller vivre ailleurs que devant nos enfants parce que cela peut leur faire peur. Et pour autant, la question que je me pose c’est que pleurer devant eux et montrer nos émotions n’est-ce pas aussi un moyen de leur montrer qu’en fait c’est normal et que nous aussi les adultes nous ne sommes pas infaillibles ? »

Il y a plusieurs parties dans cette question :

Déjà la colère non, on ne la vit pas devant ses enfants. C’est hyper effrayant. Vous vous rappelez de vos parents en colère, la tête qu’ils avaient ? La colère, ça nous fait changer de visage, c’est extrêmement dur. Et puis la colère, connectée à la blessure d’enfant, parfois ça fait ce qu’on appelle la violence. Quelquefois c’est dans la colère qu’on frappe nos enfants. 

Pleurer, c’est une autre question parce que pleurer nous met en lien avec notre humanité. Les enfants sont très proches de cette idée de pleurer parce qu’ils pleurent souvent et que finalement ils savent ce qu’on fait quand on pleure. Le seul hic c’est quand on se victimise face à eux. C’est-à-dire : mon enfant fait une crise de rage, je suis tellement fatiguée, je n’en peux plus et je me mets à pleurer. « Je n’en peux plus », le mantra du parent à peu près normal, pour parler de normalité. Je n’en peux plus et voilà il fait encore sa énième crise de rage et je me mets à pleurer. Et je peux lui dire « j’en peux plus, je suis fatigué, tu vois tes crises de rage j’en ai marre ». Mais non, en fait là on est vraiment dans un mauvais plan. C’est vrai que parfois on le fait, mais on devient la victime de notre enfant et ce n’est pas une bonne position. Donc si c’est pour ça qu’on va pleurer et bien il vaut mieux qu’on téléphone à quelqu’un, à SOS Parentalité par exemple.

SOS Parentalité

SOS Parentalité, c’est une ligne téléphonique que Catherine Dumonteil Kremer a créée et qui est portée par les membres de son réseau qui sont des consultants en parentalité qu’elle a formés et ils répondent gratuitement tous les après-midi. Donc si vous « pétez un plomb », appelez SOS Parentalité plutôt que de péter votre plomb sur votre enfant. C’est vraiment fait pour ça. Le slogan c’est « 15 minutes pour relâcher la pression ». Donc vous allez être écoutés 15 minutes et ça ira beaucoup mieux. Donc si vous essayez de pleurer pour vous victimiser face à votre enfant, lui dire que c’est de sa faute, si vous en êtes là ce n’est pas une bonne idée. En revanche, une circonstance où il est vraiment très salvateur de pleurer ensemble, c’est le deuil. On a perdu quelqu’un de proche, on va pleurer ensemble. C’est vraiment très humain, ça nous connecte ensemble, c’est un chagrin qu’on partage. Ça n’a rien à voir avec la circonstance qui fait que l’enfant a fait quelque chose et tout à coup je me mets à pleurer parce que je n’en peux plus.

Les émotions à l’école

Intervention d’une personne :

« Je suis enseignante et l’accueil des émotions j’y crois très fort au niveau de la gestion personnelle avec un groupe d’enfants. J’ai une microsociété comme dans une classe avec aussi des enfants de foyer donc qui arrivent avec une lourde charge. Des enfants de tous horizons et quand il y a des décharges émotionnelles que j’accueille, il y a en effet écho. Vous parliez de notre propre émotion en tant que parent si on a une colère ça fait peur aux enfants. La colère d’un enfant peut faire peur à d’autres enfants qui n’ont pas l’habitude ou qui ne connaissent pas du tout ce genre d’émotion et comment gérer tout ça ? »

C’est extrêmement difficile. Quand vous dites la colère d’un enfant peut faire peur aux autres enfants parce qu’ils ne connaissent pas cette émotion, ce n’est pas qu’ils ne connaissent pas cette émotion, mais c’est peut-être parce qu’ils ont été réprimés à la maison quand ils étaient en colère. Et du coup la situation émotionnelle devient une situation de danger. Et quand on se sent en danger, on bloque, on verrouille tout. On a peur quand on voit des personnes en colère.

Le début du mois de septembre à l’école est un mois très émotionnel, où les enfants sont tristes parce qu’ils sont séparés de leurs parents. Mais ils ont peur aussi parce qu’ils ne connaissent pas les autres enfants et c’est très compliqué pour eux. Nous, adultes, quand nous sommes dans un groupe, nous essayons souvent de nous coller à quelqu’un que nous connaissons. Alors imaginez ce qui se passe pour eux, à l’âge qu’ils ont en intégrant l’école…  

La question posée n’a pas de réponse standard. Catherine Dumonteil Kremer ne pense pas que nous puissions accueillir les émotions. Ce qu’elle pense en revanche, c’est que le message peut être de la part de l’enseignant : « vous pleurez, c’est bienvenu. Je ne peux pas écouter tout le monde, mais c’est bienvenu ». Ils peuvent pleurer ensemble éventuellement. Ils savent que nous ne sommes pas là pour leur dire « arrête de pleurer, tu es grand maintenant ! », comme ça s’entend dans certaines écoles. À des enfants de deux ans et demi, trois ans parfois, on entend ça et c’est extrêmement dur parce que ça fait très peur aux enfants et ils vont bloquer leur processus émotionnel. Donc, Catherine Dumonteil Kremer n’est pas sûre que nous puissions écouter les émotions de 25 enfants, ne nous leurrons pas. En revanche, nous pouvons tout à fait avoir un discours accueillant vis-à-vis de ses émotions et dire « oui, pleure, tu es triste parce que ton papa n’est pas là, il t’a laissé à l’école et tu ne me connais pas encore et c’est super que tu pleures, c’est bienvenu ». Catherine Dumonteil Kremer ne répond pas à la question, mais elle croit que ça change tout d’avoir une enseignante qui est accueillante même si elle ne peut pas accueillir toutes les émotions qui s’expriment plutôt que d’avoir une enseignante fermée qui va essayer à tout prix de dire « non ce n’est pas bien de pleurer, il ne faut pas que tu pleures, tu es grand maintenant, ta maman est partie et elle va revenir et c’est tout ». Cela change vraiment tout, comme pour les soignants qui évoquent souvent le manque de temps. Ils vont dire « oui, mais nous on n’a pas le temps d’écouter les émotions des gens qui ont mal ». Mais c’est tellement différent d’avoir une infirmière qui va dire « tu as mal » plutôt que « non tu n’as pas mal, cela ne fait pas mal, il ne faut pas exagérer, et puis tu es un homme maintenant à 7 ans ! ». Si on veut travailler sur l’émotionnel, tous les terrains, et en particulier les collectivités, vont fonctionner à l’envers en général. Dans les maisons de retraite, les personnes âgées qui reçoivent des visites et qui pleurent quand leurs enfants s’en vont, on va dire aux enfants « Ne venez pas trop souvent parce qu’après à chaque fois elle pleure ». Oui, elle pleure, mais c’est normal. Elle se retrouve dans une situation où elle vieillit, elle est en collectivité et elle perd sa sécurité d’une certaine manière, ces enfants qu’elle aime et qui ne viennent pas très souvent.

Intervention d’une personne du public :

« Je suis venue vous voir l’an dernier dans l’espace cours et je vous ai dit que ma fille n’avait pas été à l’école et là elle est à l’âge d’être en CP et je vous ai dit que je ne voulais pas qu’elle aille à l’école, que d’autres personnes s’occupent d’elle. Et vous m’aviez dit c’est votre peur à vous, est-ce que vous en avez parlé avec elle. Je voulais vous dire que ma fille est entrée en CP cette année, que j’ai eu plein de boutons moches et ma fille est entrée en CP, mais nickel. Je ne lui ai pas dit que j’étais morte de peur. Je voulais vous dire merci parce que c’est notre conversion l’an dernier qui a fait que ma fille a voulu aller à l’école. Elle est à l’école avec une maîtresse au top, on irait une princesse avec des fleurs dans les cheveux, des ballerines à paillettes. Et c’est merveilleux parce que ma fille est ravie d’être à l’école. Je voulais dire merci parce que vous m’avez aidée à me débloquer, à ne pas donner la peur à ma fille. »

Intervention d’une personne du public :

« Bonjour, je m’appelle Jessica, merci pour toute cette lumière sur ce monde émotionnel. Je me pose une question parce qu’en effet ce monde émotionnel qui est très présent dans les premières années de vie, à un moment donné, à l’âge de conscience, il y a le corps mental qui entre en jeu. Et justement, ce corps mental qui est relié au cœur et qui est mis au service de l’écriture et la lecture, où on va tout focaliser sur les premiers apprentissages à l’école, et bien je me demande si cela ne serait peut-être aussi, l’instant de le mettre au service du cœur et de l’émotion et où on va aussi accompagner l’enfant à non pas contrôler, mais canaliser, maîtriser cette émotion et même qu’elle devienne créative, s’inscrire dans la matière. Par exemple une colère je vais l’écrire, je vais la brûler dans le feu. Donc, cette émotion qui a besoin d’être accueillie, où est la balance et l’équilibre où on peut tomber dans l’extrême inverse où l’émotion va nous contrôler, va nous submerger, et donc à ce moment-là est-ce que le corps mental peut être au service de cette émotion ? »

Faut-il canaliser les émotions ?

Pourquoi vouloir canaliser un processus qui fonctionne bien juste simplement si ce qui ne fonctionne pas c’est nous, c’est notre accueil. C’est que ça nous saoule en fait. L’enfant qui fait une crise de rage au supermarché nous fatigue. On aimerait bien qu’il ne la fasse pas ou qu’il la fasse à la maison. On a beaucoup à apprendre, à se construire nous-mêmes par rapport à cet accueil. Mais sinon à part ça je n’y vois pas forcément d’intérêt à canaliser.

Catherine Dumonteil Kremer a trois enfants. La première, à partir de 6 ans, a bénéficié de l’écoute des émotions. Mais il y a quand même quelque chose qui se passe entre 0 et 6 ans qui est très fort : des pleurs du bébé, du bambin, de sa frustration qu’il exprime bruyamment. Donc sa fille aînée n’a pas bénéficié de cette écoute entre 0 et 6 ans. La deuxième, Catherine Dumonteil Kremer était un peu sur la tangente, mais elle a eu, quand elle était petite, beaucoup de tétines qu’elle mettait sans arrêt dans sa bouche. C’est Catherine Dumonteil Kremer qui lui a donné. Elle avait donc tout un chapelet de tétines avec elle, tout le temps, et c’était une enfant très placide. C’était un bambin apaisé et calme. Et la dernière, c’est l’enfant dont Catherine Dumonteil Kremer a dit : « si j’avais commencé par la troisième, je n’en aurai jamais eu 3 ! ». Elle ne l’a pas épargné côté émotion. Elle faisait plusieurs crises de rage par jour. Quand ils étaient invités chez des personnes, ils ne savaient jamais comment ça allait se terminer. Catherine Dumonteil Kremer note quand même qu’aujourd’hui ce sont des enfants qui sont vraiment très différentes et pas connectées à elles-mêmes de la même manière. Elle note également que la dernière est extrêmement placide, c’est une adulte capable d’accueillir. Elle ne va pas se mettre en colère. Catherine Dumonteil Kremer pense que l’écoute des émotions produit, chez les enfants, une capacité à se connecter à soi et aux autres. Elle ne voit donc pas trop l’intérêt de canaliser les émotions.

« Vivre et grandir ensemble »

Catherine Dumonteil Kremer a créé un atelier qui s’appelle « Vivre et grandir ensemble » et qui est animé partout en France par les consultants en parentalité créative qu’elle a formés. Il y a dans cet atelier 8 thèmes de séances qui sont extrêmement importants : l’écoute, les besoins, le jeu, les émotions, les limites. Il y a aussi un thème qui s’appelle « quand la colère nous emporte ». Il y a également l’apprentissage et « renaître à soi-même en accompagnant ses enfants » parce que c’est ça qui nous attend finalement au bout de la route, c’est renaître à nous, se retrouver, retrouver sa vitalité, retrouver sa gaieté, retrouver son enthousiasme. Catherine Dumonteil Kremer voudrait finir sur la gratuité de l’amour. Cela veut dire que la manipulation n’a pas sa place dans la relation parent-enfant. Sinon, cela fait de l’amour un marché, cela le fait entrer dans un système économique capitaliste. On ne veut pas ça ! L’amour c’est complètement gratuit. « Je t’aime tel que tu es comme tu es et tu ne me dois rien. » Elle nous recommande aussi de voir un documentaire qui s’appelle « Et je choisis la vie ». C’est un documentaire sur le deuil. Avec les émotions, on peut accompagner le deuil, on peut accompagner toutes les circonstances dramatiques de l’existence. Tout le monde vit le deuil et on a besoin des émotions pour guérir de la tristesse d’un deuil. Cette question émotionnelle est profondément humaine, elle nous permet de nous rapprocher, de nous aider. C’est un acte politique parce que finalement quand on écoute nos émotions, cela nous permet de nous comprendre en profondeur ; Catherine Dumonteil Kremer nous souhaite de nous écouter mutuellement, de trouver des lieux de sécurité, de contacter les consultants du réseau Parentalité Créative.

Pourquoi la parentalité créative ?

Parce que la parentalité positive est binaire : positif/négatif. Mais il n’y a pas de parentalité négative. Et avec la parentalité créative, vous avez des outils et vous bricolez votre propre solution, la vôtre, celle qui est adaptée à vous, à votre propre famille.

Sylviana de Lamour en Vadrouille, pour Pass éducation