200 ans de travaux neuroscientifiques et quels résultats en France ? – PDF à imprimer

Edouard Séguin, Maria Montessori, Céline Alvarez, Stanislas Dehaene et Laurent Mottron : 200 ans de travaux neuroscientifiques et quels résultats en France ?

C’est en 1837 qu’Edouard Séguin décida de collaborer avec Jean Itard, éducateur de sourds-muets (célèbre pour avoir traité le cas de Victor de l’Aveyron, également connu sous le nom de « L’enfant sauvage ».

Vers 1840, Edouard Séguin crée la première école privée de Paris dédiée à l’éducation des déficients intellectuels. Vers 1852, il migre aux Etats Unis, le corps médical français n’étant pas prêt à évoluer et accepter qu’un non médecin puisse développer une « médico-pédagogie » car eux seuls avaient le savoir. Il devient docteur en médecine en 1861, crée plusieurs écoles dédiées aux enfants handicapés mentaux. Les programmes utilisés dans ses écoles sont basés sur le développement de l’autonomie et de l’indépendance pour le « traitement » de la déficience intellectuelle en combinant différentes tâches manuelles et intellectuelles. Il est l’auteur de « Traitement moral, hygiène et éducation des idiots ».

Maintenant que nous en savons plus sur Edouard Séguin, nous comprenons aisément d’où provient l’inspiration de Maria Montessori.

En proposant une méthode généralisable, Edouard Séguin sortait les enfants « arriérés » de leur relégation et de leur isolement et il proposait un véritable programme qui posait les bases d’une « politique publique d’éducation » dirions-nous aujourd’hui en direction de handicap.

Il est persuadé que les notions s’imposent par l’expérience des sens, les idées naissent et se développent par l’exercice des facultés de déduction, d’analogie et de comparaison.

Sa méthode s’écarte des pratiques d’éducation de l’époque. Il écrit : « Si l’on se contentait de poser le problème de l’éducation des idiots comme l’est celui de l’éducation des masses…, autant vaudrait rester les épaules enfoncées sur les coussins d’un divan, le cigare à la bouche. L’éducation chez les peuples qui se proclament en progrès… consiste à parquer des milliers d’enfants dans des espèces de casernes où, sans tenir compte des aptitudes…, on leur donne chaque jour indistinctement et exclusivement quatre ou cinq rations d’aliments intellectuels. »

Séguin accorde à la fonction d’éducateur une noblesse intellectuelle de haute portée, car « améliorer le sort d’un pauvre enfant (permet) du même coup de grandir soi-même jusqu’à une hauteur morale que peu d’hommes atteignent ».

Dans sa méthode, les jeux sont omniprésents, non seulement dans l’éducation sensorielle et motrice mais aussi comme liens des apprentissages les plus abstraits. Edouard Séguin déploie une inventivité remarquable : jeux pour discerner les timbres des voix, les odeurs, les saveurs, les couleurs et les formes puis les tableaux à double entrée (tableau d’addition, de multiplication etc…), des blocs logiques combinant les notions de formes, de couleurs et d’épaisseur pour apprendre à établir des rapports à partir des notions ; aussi, des jeux pour les apprentissages de la lecture et du calcul. Maria Montessori les reprendra à l’identique.

C’est lorsque celle-ci travailla dans les services de psychiatrie de Rome en s’occupant d’enfants déficients qu’elle découvrit qu’ils n’avaient aucun jeux à leur disposition alors qu’elle était convaincue que les enfants en avaient besoin pour progresser.

Elle décida alors d’adapter le matériel pédagogique d’Edouard Séguin afin qu’il soit attrayant.

Elle crée une école d’orthophrénie (art de bien diriger les facultés intellectuelles), elle y constate des progrès quasi extraordinaires chez les enfants déficients. C’est alors qu’elle eut l’idée de proposer ce même matériel à des enfants non porteurs de handicap. En 1907, elle ouvre la première Casa Dei Bambini pour des enfants âgés de 3 à 6 ans, dans un quartier défavorisé de Rome. En quelques mois, d’autres écoles s’ouvrent en Italie et rapidement un peu partout dans le monde ce qui l’oblige à former des enseignants (environ 5000). Elle voyagera beaucoup pour dispenser sa pédagogie mais surtout pour fuir les guerres et les régimes dictatoriaux. On remarquera alors, qu’elle ne s’installa à aucun moment en France.

En 1929, elle fonde l’Association Montessori Internationale pour préserver et promouvoir tous ses travaux de recherches complémentaires à ceux d’Edouard Séguin en faveur du développement harmonieux de l’être humain. Nominée plusieurs fois au prix Nobel de la Paix pour son livre « L’éducation et la paix » inspira un siècle plus tard Céline Alvarez, alors simple professeur de français en Espagne, son pays d’origine. Voir aussi : L’esprit absorbant de l’enfant, de Maria Montessori

Encore résidente à Madrid, elle s’inscrivit en master de sciences du langage par correspondance via l’université de Grenoble.

Lors de son installation en France, elle passa le concours de professeur des écoles en candidat libre en 2009. Jean Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco) au ministère de l’Education nationale décide de lui laisser carte blanche pédagogique au sein de l’école maternelle Jean Lurçat de Gennevilliers en septembre 2011. Elle bénéficia du soutien financier de l’association Agir pour l’école qui permit de rémunérer une 2ème ATSEM, Anna Bisch, elle-même formée à la pédagogie Montessori.

Pour cette expérimentation, prévue initialement par tous les partis  (Dgesco et Agir pour l’école), d’énormes moyens financiers ont été mis sur la table.

L’expérience dura 3 ans (de 2011 à 2014), le matériel mis à disposition fut celui créé par Edouard Séguin et Maria Montessori.

Face aux progrès des enfants observés au sein de cette classe expérimentale, Céline Alvarez collabora avec l’équipe du neuroscientifique Stanislas Dehaene afin d’explorer de façon empirique les mécanises cérébraux impliqués dans les évolutions, les progressions tant scolaires qu’humaines qu’elle observa.

L’approche pédagogique de Céline Alvarez est en quelque sorte la continuité des travaux d’Edouard Séguin et Maria Montessori puisqu’elle fut enrichie grâce aux travaux en neurosciences.

Des modifications ont été apportées aux théories de Maria Montessori consacrées au langage de façon à ce qu’elles soient adaptées à la langue française.

Depuis cette aventure au sein du système scolaire classique, Céline Alvarez poursuit ses travaux, elle alimente son blog de vidéos explicatives et formatrices, elle voyage et anime de nombreuses conférences qui semblent donner un second souffle aux enseignants français passionnés.

Dernière actualité : elle va piloter une formation de 750 enseignants cette année à partir du mois d’octobre en Belgique.

Revenons en septembre 2016, Céline Alvarez est à son apogée, elle sort « Les lois naturelles de l’enfant » qui lui vaudra le prix Psychologies-Fnac en 2017.

« Plusieurs principes sont valorisés dans cette approche pédagogique d’un point de vue théorique :

La valorisation de la plasticité cérébrale du jeune être humain dès la naissance : importance des deux premières années de vie, environnement aimant et sécurisant, apprentissage par l’expérience sensible…

La reconnaissance et l’optimisation des périodes sensibles en matière d’apprentissage chez l’enfant (de la naissance à 5 ans).

Le développement des compétences exécutives : mémoire de travail (mémoire à court terme, capacité à retenir une consigne), contrôle inhibiteur (maîtrise des émotions, développement de l’empathie) et flexibilité cognitive (capacité à trouver des solutions par soi-même, capacité d’autocorrection et créativité).

Le développement optimal de l’autonomie chez l’enfant : structurer son besoin d’autonomie sans l’entraver, l’aider à s’exprimer, à se maîtriser, l’aider et l’encourager à faire seul, l’intégrer pleinement dans les activités pratiques réalisées au quotidien (la cuisine, le ménage, le jardinage, le soin des animaux…), lui fournir un environnement riche, ordonné et sécurisé appelant lui-même à l’ordre et à la découverte…

L’exploration de la nature, la connaissance de ce qu’elle apporte et de la façon d’en prendre soin.

La préservation de l’enfant vis-à-vis du stress dit « toxique » ou destructeur de neurones (causé entre autres par les violences, les insultes, les humiliations répétées…).

Le bien-être et l’équilibre de l’adulte comme impératif préalable à l’accompagnement constructif et bienveillant de l’enfant quel qu’il soit.

L’approche pédagogique se fond sur de nombreuses valeurs et principes éducatifs précis, applicables dans le cadre scolaire :

Mise en place de rapports horizontaux adultes-enfants : absence de notation, suppression du système global de validation par l’adulte, valorisation de l’enfant fondée sur la satisfaction personnelle exprimée par ce dernier face à son travail, encouragement de son envie d’apprendre, de sa capacité d’autodiscipline…

Assainissement des rapports enfants-enfants : absence de compétition, travail sur la compréhension et la verbalisation des émotions, dynamique de groupe valorisée, acceptation des différences de chacun…

Développement prioritaire de l’autonomie et valorisation des échanges inter-âges/inter-niveaux (apprentissage par les pairs).

Exemplarité des comportements de chacun, adulte comme enfant : au niveau du langage notamment, mais aussi rejet de tout comportement destructeur tel que la violence ou l’humiliation.

Respect du travail et de la concentration de l’autre, sécurisation de l’apprentissage (seule règle commune et immuable appliquée au sein de la classe expérimentale de Céline Alvarez).

Dans son livre, elle propose d’ordonner la salle de classe par secteurs, correspondants aux différents types d’activités proposés :

  • activités pratiques,
  • activités sensorielles,
  • activités plastiques et artistiques,
  • langage (complété d’un coin bibliothèque),
  • mathématiques.

Les activités disponibles dans la classe étaient présentées de façon individuelle, au moment jugé le plus opportun pour chaque enfant.

Chaque nouvelle activité proposée, chaque contenu éducatif présenté, devait dans ce cadre respecter l’impératif suivant : être accessible au niveau de l’enfant pour ne pas le décourager, tout en représentant un défi suffisant pour attiser sa curiosité et encourager son envie de découvrir et d’apprendre.

Céline Alvarez indique toutefois que la coopération et la présentation de matériel entre pairs (des plus grands pour les plus petits par exemple) demeurait une réalité quotidienne, presque automatique, aussi utile qu’efficace.

Des temps de regroupements étaient également et enfin proposés à différents moments de la journée (temps de lecture, de relaxation, d’échanges…). » Source Wikipédia

Voir : LES LOIS NATURELLES DE L’ENFANT de Céline Alvarez

Depuis, Jean Michel Blanquer a été nommé ministre de l’Education nationale, Stanislas Dehaene, président du conseil scientifique de l’Education nationale. Ce conseil scientifique est chargé d’éclairer les décisions du ministre concernant les apprentissages et la pédagogie à mettre en place pour favoriser justement ces apprentissages. Son travail se concentre principalement sur les sciences cognitives en lien avec les apprentissages et non sur les neurosciences comme le prétendent les nombreux détracteurs de la refondation de l’école.

Les travaux de Stanislas Dehaene qui mêlent conjointement les méthodes de la psychologie cognitive et de l’imagerie cérébrale portent sur les architectures cérébrales de l’arithmétique de la lecture, du langage parlé et l’accès d’informations à la conscience ce qui l’amène à s’intéresser de près à la dyscalculie et à la dyslexie. Il est l’auteur de la « Bosse des maths », « Les neurones de la lecture » et « Le code de la conscience ».

Voir : Apprendre à lire: Des sciences cognitives à la salle de classe

Dans le même temps, Laurent Mottron, psychiatre et linguiste se spécialise dans les recherches cliniques sur l’autisme (une partie des « idiots » de l’époque d’Edouard Séguin et de Maria Montessori). Il a signé plus d’une centaine d’articles scientifiques sur les neurosciences et l’autisme.

Ses travaux sont fondés sur la neuro-imagerie et l’étude des tests cognitifs, concernant le traitement de l’information par les personnes autistes.

Tout comme Edouard Séguin, Laurent Mottron a quitté la France par opposition à l’approche psychanalytique de l’autisme. Mettre le lien de l’article sur l’autisme de Dys+

200 ans d’histoire, de recherches scientifiques  basées au départ sur l’étude des enfants dont le fonctionnement est différent au service et au nom de l’éducation pour semble-t-il, peu d’évolution dans les pratiques pédagogiques et inclusives en France essentiellement sauf en Italie (pays d’origine de Maria Montessori) et dans les pays d’Europe du Nord.

Nous sommes en droit de nous demander si la société française ne paraîtrait-elle pas sourde quant au bien-être de l’être pensant, sortie pourtant de l’ère préindustrielle qui consistait à former les gens à travailler dans les usines.

Devrions-nous avoir peur que Stanislas Dehaene migre à son tour à l’étranger comme dernièrement Céline Alvarez en Belgique ?

 

 

Delphine Bessière, pour Pass Education