Les lettres de mon moulin – Alphonse Daudet – Arts du langage – XIXe siècle – Cm1 – Cm2 – Histoire des arts – Cycle 3 – PDF à imprimer

Les lettres de mon moulin – Alphonse Daudet

Histoire de l’art

Littérature

 

Arts du langage au 19ème siècle

Le secret de maître Cornille

 

 

Francet Mamaï, un vieux joueur de fifre, qui vient de temps en temps faire la veillée chez moi, en buvant du vin cuit, m’a raconté l’autre soir un petit drame de village dont mon moulin a été témoin il y a quelque vingt ans. Le récit du bonhomme m’a touché, et je vais essayer de vous le redire tel que je l’ai entendu.
Imaginez-vous pour un moment, chers lecteurs, que vous êtes assis devant un pot de vin tout parfumé, et que c’est un vieux joueur de fifre qui vous parle.

 

Notre pays, mon bon monsieur n’a pas toujours été un endroit mort et sans renom, comme il est aujourd’hui.
Autre temps, il s’y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens des mas nous apportaient leur blé à moudre… […]

Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes. Là-haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d’or. Moi, j’apportais mon fifre, et jusqu’à la noire nuit on dansait des farandoles. Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays.

Malheureusement, des Français de Paris eurent l’idée d’établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon.
Tout beau, tout nouveau ! Les gens prirent l’habitude d’envoyer leurs blés aux minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage.

Pendant quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus forte, et l’un après l’autre, pécaïre ! Ils furent tous obligés de fermer. On ne vit plus venir les petits ânes… Les belles meunières vendirent leurs croix d’or… Plus de muscat ! Plus de farandole !… Le mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles…

 

Puis, un beau jour la commune fit jeter toutes ces masures à bas, et l’on sema à leur place de la vigne et des oliviers.
Pourtant, au milieu de la débâcle, un moulin avait tenu bon et continuait de virer courageusement sur sa butte, à la barbe des minotiers. C’était le moulin de maître Cornille, celui-là même où nous sommes en train de faire la veillée en ce moment.
Maître Cornille était un vieux meunier vivant depuis soixante ans dans la farine et enragé pour son état. L’installation des minoteries l’avait rendu comme fou. Pendant huit jours, on le vit courir par le village, ameutant tout le monde autour de lui et criant de toutes ses forces qu’on voulait empoisonner la Provence

 

avec la farine des minotiers. “ N’allez pas là-bas, disait-il ; ces brigands-là, pour faire le pain, se servent de la  vapeur qui est une invention du diable, tandis que moi, je travaille avec le mistral et la tramontane, qui sont la respiration du bon Dieu… ”

Et il trouvait comme cela une foule de belles paroles à la louange des moulins à vent, mais personne ne les écoutait.
Alors, de male rage, le vieux s’enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut pas même garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n’avait plus que son grand au monde. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. […]

Dans le pays on pensait que le vieux meunier, en renvoyant Vivette, avait agi par avarice ; et cela ne lui faisait pas honneur de laisser sa petite-fille ainsi traîner d’une ferme à l’autre, exposée aux brutalités des baïles, et à toutes les misères des jeunesses en condition. On trouvait très mal aussi qu’un homme du renom de maître Cornille, et qui, jusque-là, s’était respecté, s’en allât maintenant par les rues comme un vrai bohémien, pieds nus, le bonnet troué, la taillole en lambeaux…
Dans la vie de maître Cornille il y avait quelque chose qui n’était pas clair. Depuis longtemps personne, au village, ne lui portait plus de blé, et pourtant les ailes de son moulin allaient toujours leur train comme devant… Le soir, on rencontrait par les chemins le vieux meunier poussant devant lui son âne chargé de gros sacs de farine.
– Bonnes vêpres, maître Cornille ! lui criaient les paysans ; ça va donc toujours, la meunerie ?
– Toujours, mes enfants, répondait le vieux d’un air gaillard. Dieu merci, ce n’est pas l’ouvrage qui nous manque.
Alors, si on lui demandait d’où diable pouvait venir tant d’ouvrage, il se mettait un doigt sur les lèvres et répondait gravement :
“ Motus ! je travaille pour l’exportation… ” Jamais on n’en put tirer davantage.[…]

Tout cela sentait le mystère et faisait beaucoup jaser le monde. Chacun expliquait à sa façon le secret de maître Cornille, mais le bruit général était qu’il y avait dans ce moulin-là encore plus de sacs d’écus que de sacs de farine.
À la longue pourtant tout se découvrit ; voici comment :
En faisant danser la jeunesse avec mon fifre, je m’aperçus un beau jour que l’aîné de mes garçons et la petite Vivette s’étaient rendus amoureux l’un de l’autre.[…]. Seulement, comme nos amoureux avaient souvent occasion d’être ensemble, je voulus, de peur d’accidents, régler l’affaire tout de suite, et je montai jusqu’au moulin pour en toucher deux mots au grand-père…[…]
Le vieux me cria fort malhonnêtement de retourner à ma flûte ; que, si j’étais pressé de marier mon garçon, je pouvais bien aller chercher des filles à la minoterie…

Pensez que le sang me montait d’entendre ces mauvaises paroles ; mais j’eus tout de même assez de sagesse pour me contenir et, laissant ce vieux fou à sa meule, je revins annoncer aux enfants ma déconvenue. Ils décidèrent d’aller voir eux-mêmes maître Cornille.

Tout juste comme ils arrivaient là-haut, maître Cornille venait de sortir. La porte était fermée à double tour ; mais le vieux bonhomme, en partant, avait laissé son échelle dehors, et tout de suite l’idée vint aux enfants d’entrer par la fenêtre, voir un peu ce qu’il y avait dans ce fameux moulin…
Chose singulière ! La chambre de la meule était vide…
Pas un sac, pas un grain de blé ; pas la moindre farine aux murs ni sur les toiles d’araignée… On ne sentait pas même cette bonne odeur chaude de froment écrasé qui embaume dans les moulins… l’arbre de couche était couvert de poussière, et le grand chat maigre dormait dessus.
La pièce du bas avait le même air de misère et d’abandon : un mauvais lit, quelques guenilles, un morceau de pain sur une marche d’escalier, et puis dans un coin trois ou quatre sacs crevés d’où coulaient des gravats et de la terre blanche.
C’était là le secret de maître Cornille ! C’était ce plâtras qu’il promenait le soir par les routes, pour sauver l’honneur du moulin et faire croire qu’on y faisait de la farine…

Pauvre moulin ! Pauvre Cornille ! Depuis longtemps les minotiers leur avaient enlevé leur dernière pratique. Les ailes viraient toujours, mais la meule tournait à vide.
Les enfants revinrent tout en larmes, me conter ce qu’ils avaient vu. J’eus le cœur crevé de les entendre… Sans perdre une minute, je courus chez les voisins, je leur dis la chose en deux mots, et nous convînmes qu’il fallait, sur l’heure, porter au moulin de Cornille tout ce qu’il y avait de froment dans les maisons… Sitôt dit, sitôt fait. Tout le village se met en route, et nous arrivons là-haut avec une procession d’ânes chargés de blé-, du vrai blé, celui-là. !
Le moulin était grand ouvert… Devant la porte, maître Cornille, assis sur un sac de plâtre, pleurait, la tête dans ses mains. Il venait de s’apercevoir, en rentrant, que pendant son absence on avait pénétré chez lui et surpris son triste secret.
– Pauvre de moi ! disait-il. Maintenant, je n’ai plus qu’à mourir… Le moulin est déshonoré.
Et il sanglotait à fendre l’âme, appelant son moulin par toutes sortes de noms, lui parlant comme à une personne véritable.
À ce moment les ânes arrivent sur la plate-forme, et nous nous mettons tous à crier bien fort comme au beau temps des meuniers :
– Ohé ! Du moulin !… Ohé ! Maître Cornille !
Et voilà les sacs qui s’entassent devant la porte et le beau grain roux qui se répand par terre, de tous côtés…

Maître Cornille ouvrait de grands yeux. Il avait pris du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois :
– C’est du blé !… Seigneur Dieu !… Du bon blé ! Laissez-moi que je le regarde.
Puis se tournant vers nous :
– Ah ! Je savais bien que vous me reviendriez… Tous ces minotiers sont des voleurs […]

Documentaire, questionnaire + correction

 

Repère dans le texte

1/ Qui est Maître Cornille ?

………………………………………………………………………………………………….

2/ Où se déroule l’histoire ? ………………………………………………………………

3/ Qui est le narrateur de cette histoire ?  ……………………………………………

4/ Quel est le problème de maître Cornille ?

……………………………………………………………………………………………….……

Ce que j’ai compris

1/ Pourquoi les moulins du pays sont tous obligés de fermer ?

 

……………………………………………………………………………………………….……

2/ Quel est le secret de maître Cornille ?

…………………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………………………………………

3/ Nous sommes en Provence. Certains mots sont spécifiques. Pouvez-vous donner leurs explications ?

– Le mas : ____________________________  – Pécaïre : ____________

– La taillole : _________________________    – Les magnans : _________

4/ Dans ce conte, Alphonse Daudet cite le nom de deux vents du sud qui font tourner les ailes des moulins. Pouvez-vous les citer ?

Le ……………………………… et la ……………………………………….

5/ Comment le secret de maître Cornille est-il découvert ?

 

……………………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………………………………………

6/Que font alors les gens du village ?



Les lettres de mon moulin – Alphonse Daudet – Arts du langage – XIXe siècle   rtf

Les lettres de mon moulin – Alphonse Daudet – Arts du langage – XIXe siècle   pdf