Le paradis des chats – Emile Zola – Arts du langage – XIXe siècle – Cm1 – Cm2 – Histoire des arts – Cycle 3 – PDF à imprimer

Arts du langage au 19ème siècle

Histoire de l’art

Littérature

 

Histoire des arts – Cycle 3

Le paradis des chats

 

 

Documentaire, questionnaire + correction

Une tante m’a légué un chat d’Angora qui est bien la bête la plus stupide que je connaisse. Voici ce que mon chat m’a conté, un soir d’hiver, devant les braises chaudes.

 

J’avais alors deux ans, et j’étais bien le chat le plus gras et le plus naïf qu’on pût voir. A cet âge tendre, je montrais encore toute la présomption d’un animal qui dédaignait les douceurs du foyer. Et pourtant que de remerciements je devais à la Providence pour m’avoir placé chez votre tante. La brave femme m’adorait. J’avais, au fond d’une armoire, une véritable chambre à coucher, coussin de plume et triple couverture. La nourriture valait le coucher; jamais de pain, jamais de soupe, rien que de la viande, de la bonne viande saignante.

Et bien ! Au milieu de ces douceurs, je n’avais qu’un désir, qu’un rêve, me glisser par la fenêtre entrouverte et me sauver sur les toits. Les caresses me semblaient fades, la mollesse de mon lit me donnait des nausées, j’étais gras à m’en écœurer moi-même. Et je m’ennuyais tout le long de la journée à être heureux.

Il faut vous dire qu’en allongeant le cou j’avais vu de la fenêtre le toit d’en face. Quatre chats, ce jour-là, s’y battaient, le poil hérissé, la queue haute, se roulant sur les ardoises bleues, au grand soleil, avec des jurements de joie. Jamais je n’avais contemplé de spectacle si extraordinaire. Dès lors mes croyances furent fixées. Le véritable bonheur était sur ce toit, derrière cette fenêtre qu’on fermait si soigneusement. Je me donnai pour preuve qu’on fermait ainsi les portes des armoires derrières lesquelles on cachait la viande.

J’arrêtai le projet de m’enfuir. Un jour, on oublia de pousser la fenêtre de la cuisine. Je sautai sur un petit toit qui se trouvait au-dessous.

Que les toits étaient beaux ! De larges gouttières bordaient, exhalant des senteurs délicieuses. Je suivis voluptueusement ces gouttières, où mes pattes s’enfonçaient dans une boue fine, qui avait une tiédeur et une douceur infinie. Il me semblait que je marchais sur du velours. Et il faisait une bonne chaleur au soleil, une chaleur qui fondait ma graisse.

Je ne vous cacherai pas que je tremblais de tous mes membres. Il y avait de l’épouvante dans ma joie. Trois chats qui roulèrent du faîte d’une maison vinrent à moi en miaulant affreusement.  Et comme je défaillais, ils me traitèrent de grosse bête, ils me dirent qu’ils miaulaient pour rire. Je me mis à miauler avec eux. C’était charmant.

Un vieux matou de la bande me prit particulièrement en amitié. Il m’offrit de faire mon éducation, ce que j’acceptai avec reconnaissance. Je bus aux gouttières, et jamais lait sucré ne m’avait semblé si doux. Tout me parut bon et beau.

Une chatte passa, une ravissante chatte, dont la vue m’emplit d’une émotion inconnue. J’allais lui faire mon  compliment, lorsqu’un de mes camarades me mordit cruellement au cou. Je poussai un cri de douleur.

« Bah ! Me dit le vieux matou en m’entraînant, vous en verrez bien d’autres. »

Au bout d’une heure de promenade, je me sentis un appétit féroce.

« Qu’est-ce qu’on mange sur les toits ? Demandai-je à mon ami le matou.

– Ce qu’on trouve », me répondit-il doctement.

Mon ventre commençait à se fâcher sérieusement. Le matou acheva de me désespérer en me disant qu’il fallait attendre la nuit. Alors nous descendrions dans la rue, nous fouillerions les tas d’ordures. Attendre la nuit ! Moi je me sentais défaillir, à la seule pensée de ce jeûne prolongé.

La nuit vint lentement, la pluie tomba bientôt, mince, pénétrante, fouettée par des souffles brusques de vent. Nous descendîmes par la baie vitrée d’un escalier.

Que la rue me parut laide ! Ce n’était plus cette bonne chaleur, ce large soleil, ces toits blancs de lumière où l’on se vautrait si délicieusement. Je me souvins avec amertume de ma triple couverture et de mon coussin de plume.

A peine étions-nous dans la rue que mon ami le matou se mit à trembler. Il se fit petit, petit, et fila sournoisement le long des maisons, en me disant de le suivre au plus vite. Comme je l’interrogeais sur cette fuite :

«Avez-vous vu cet homme qui avait une hotte et un crochet ? me demanda-t-il. Et bien ! S’il nous avait aperçus, il nous aurait assommés et mangés à la broche!»

On avait vidé les ordures devant les portes. Je fouillai les tas avec désespoir. Je rencontrai deux ou trois os maigres qui avaient traîné dans les cendres. C’est alors que je compris combien le mou frais est succulent. Mon ami le matou grattait les ordures en artiste.

Il me fit courir jusqu’au matin. Pendant près de dix heures je reçus la pluie, je grelottai de tous mes membres. Maudite rue, maudite liberté, et comme je regrettai ma prison !

Au jour, le matou, voyant que je chancelais :

« Vous en avez assez ? Vous voulez rentrer chez vous ? Venez. Ce matin en vous voyant sortir, j’ai compris qu’un chat gras comme vous n’était pas fait pour les joies âpres de la liberté. Je vais vous mettre à votre porte. »

Lorsque nous fûmes arrivés :

«Adieu, me dit-il sans témoigner la moindre émotion

– Non ! M’écriai-je, nous ne nous quitterons pas ainsi. Vous allez venir avec moi. Nous partagerons le même lit et la même viande. Ma maîtresse est une brave femme… »

Il ne me laissa pas achever.

« Taisez-vous, dit-il brusquement, vous êtes un sot. Je mourrais dans vos tiédeurs molles ? Votre vie plantureuse est bonne pour les chats bâtards. Les chats libres n’achèteront jamais au prix d’une prison votre mou et votre coussin de plume… Adieu. »

Et il remonta sur ses toits.

Quand je rentrai, votre tante prit le martinet et m’administra une correction que je reçus avec une joie profonde. Je goûtai largement la volupté d’avoir chaud et d’être battu. Pendant qu’elle me frappait, je songeais avec délices à la viande qu’elle allait me donner ensuite.

Voyez-vous – a conclu mon chat, en s’allongeant devant la braise, le véritable bonheur, le paradis, mon cher maître, c’est d’être enfermé et battu dans une pièce où il y a de la viande.

Je parle pour les chats.

 

Repère dans le texte

1/ Un récit peut commencer par un prologue, texte souvent court qui permet à l’auteur de présenter le contexte de son histoire au lecteur. Qui raconte l’histoire dans le prologue ?

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2/ Qui est le narrateur de l’histoire ?  ……………………………………………………..

3/ Comment se décrit-il ? …………………………………………………………………….

4/ Quelle vie menait-il ?

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5/ Quel est son rêve ?

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Ce que j’ai compris

1/ Que décide-t-il de faire un jour ? Par quel moyen ?

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2/ Comment doit-il trouver sa nourriture une fois dans la rue ?

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3/ Pourquoi le chat se fait-il mordre par un autre ?

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4/ Pourquoi les chats ont-ils peur de l’homme dans la rue ?

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5/ Pourquoi la rue lui parait-elle laide tout à coup ?

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6/ Pourquoi son ami n’accepte pas de rester avec lui ?

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7/ A la fin, pourquoi est-il heureux d’être battu par la tante ?

 



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