André Stern – « Écologie de l’enfance. Un projet de vie » | Résumé de conférence

André Stern – résumé de conférences – « Écologie de l’enfance. Un projet de vie ». Strasbourg, 4 novembre 2016.

 

  • Jamais à l’école

André Stern, né en 1971, n’est jamais allé à l’école. Pourtant, diront certains, c’est pourquoi, diront d’autres, il est aujourd’hui un musicien et un écrivain reconnu. Ardent défenseur de l’enfance, il en a fondé une nouvelle approche : « l’écologie de l’enfance ». Selon lui, ce qu’il a vécu (ne jamais aller à l’école) était tout simplement « naturel ». Il se dit lui-même banal, il ne se considère pas du tout différent des autres : « c’est dans la Nature de l’enfant de grandir et d’apprendre » ; donc tout enfant apprendra, et peut même devenir très doué en sa matière, même (surtout) s’il ne va pas à l’école.

  • Une « bombe de potentiel »

Comment est-ce possible ? tout simplement parce que l’enfant qui vient au monde est une « bombe de potentiel. Il peut tout devenir et tout apprendre ». C’est un fait scientifique. De fait, tout dépend donc de l’environnement dans lequel l’enfant va grandir, des opportunités que la Vie et son entourage direct vont lui offrir. En revanche, si le potentiel de l’enfant n’est pas stimulé, tous ces avantages vont disparaître, et ce dès les 1ers mois de vie.

  • « L’enfant blessé »

Chaque enfant est une « bombe de potentiel », c’est une des choses essentielles qu’André Stern souhaite que l’on retienne à l’issue de cette conférence. Une autre, c’est que l’on porte tous en nous un enfant « blessé » : comprendre, un enfant qui a été contrarié dans ses potentiels, dans ses centres d’intérêt. Soit parce qu’on ne lui a pas permis d’assouvir ses envies, en le forçant aux apprentissages scolaires par exemple ; soit à cause du poids de toutes ces petites phrases qui nous semblent anodines (et qui d’ailleurs sont souvent mues par des intentions bienveillantes) mais qui font que l’on a une certaine attente, même inconsciente, vis-à-vis de l’enfant. André Stern cite quelques exemples que tous les parents ont vécu : « fait-il ses nuits ? », ou encore, « a-t-il de bonnes notes à l’école ? » Ce type de phrases, même si on est contre, même si elles nous révoltent, change notre regard sur l’enfant et influence notre attitude, qui s’imprime sur l’enfant pour le reste de sa vie. Ainsi se perpétue le cercle vicieux de la violence, même s’il n’est que sous-entendu, ou silencieusement rêvé, voire fantasmé : « je t’aimerais si tu changes ». 

  • Et si on décidait de leur faire confiance ?

Nous avons donc tous en nous un enfant blessé. Pour André Stern, il est nécessaire de changer de point de vue sur l’enfance, de cesser d’avoir des attentes envers les enfants, et de passer au « je t’aime comme tu es ». Il est aussi essentiel de laisser paraître ce sentiment aux enfants : à nos enfants, mais aussi à notre enfant intérieur blessé. Cela passe par faire confiance aux enfants, et par aller à leur rencontre (ce qui implique aussi le respect). Ils nous le rendront notamment en « prenant notre enfant blessé par la main, pour l’emmener dans un nouveau monde ». Cela permettrait selon lui de nous réconcilier avec notre enfant blessé, et de changer le monde en laissant les enfants vivre leur potentiel. C’est cela, « l’écologie de l’enfant » : c’est leur montrer que nous les aimons tels qu’ils sont, et qu’ils n’ont pas besoin de changer quoi que ce soit. C’est une question d’« attitude », c’est l’Amour inconditionnel : « c’est parce que tu es comme tu es, que je t’aime ».

  • Les dispositions spontanées 

Nous sommes tous venus au monde avec des « dispositions spontanées », et c’est, pour André Stern, la principale raison qui fait que nous pouvons, et que nous devons, faire confiance aux enfants. « Absolument tout le monde en a » : selon lui, rien ne peut l’empêcher car c’est un fait naturel ; ni le handicap, ni la maladie n’entravent les êtres au point de faire disparaître d’eux toute disposition spontanée. S’il existe une variété infinie de dispositions spontanées, André Stern choisit lors de cette conférence de n’en présenter que quatre (sans qu’il y ait aucune hiérarchie entre elles).

    • Le jeu : que fait spontanément un enfant, quel que soit son environnement et les circonstances de sa vie, quand on le laisse tranquille ? il joue. Le jeu chez l’enfant est un besoin fondamental et inné, il est plus fort que tout, plus fort même que la douleur, la fatigue ou la faim. L’enfant n’arrête de jouer que parce que les adultes le lui demandent. Là encore, un changement de point de vue s’impose : le jeu ne doit plus être vu comme une simple activité de loisir, il doit être pris au sérieux au même titre que les apprentissages, il ne doit même pas être séparé des apprentissages, puisqu’il en est une partie fondamentale et intrinsèque. Il est dramatique que dans nos sociétés, jeu et apprentissage aient été séparés, et même hiérarchisés. Le jeu est souvent considéré comme un temps perdu, alors qu’il est essentiel, et primordial pour l’enfant. C’est d’autant plus dramatique que beaucoup d’enfants, faisant confiance aux adultes, absorbent ce faux discours– « arrêtes de jouer pour te mettre à apprendre ». Alors qu’« il n’y a pour apprendre pas de dispositif plus parfait, plus génial, et plus adapté que le jeu ».  André Stern souligne que les qualités que les enfants développent en jouant seront caractéristiques des adultes qu’ils deviendront. « Jouer, apprendre et vivre sont des synonymes ». 
    • L’enthousiasme et les capacités cérébrales : « Notre cerveau se développe selon l’usage qu’on en fait », mais aussi et surtout lorsqu’il est mû par l’« enthousiasme » : un peu comme les muscles, il a besoin d’être stimulé, dans une démarche qui éveille le plaisir. C’est ce qu’ont révélé les découvertes scientifiques des dernières années, bouleversant les anciennes théories sexistes, racistes, et autres formes de « istes ». Nous sommes dotés de cet « équipement » à la naissance, ce qui est selon André Stern une formidable raison de faire confiance aux enfants. L’enthousiasme est un véritable « engrais cérébral », qui vient nourrir le génie intrinsèque et inné en chacun de nous. L’enfant, sujet à l’enthousiasme « du matin au soir » est donc constamment prédisposé aux apprentissages, si on lui présente quelque chose qui l’intéresse, plutôt que de le contraindre. Tout l’enjeu est donc de découvrir, afin de « libérer notre génie », ce qui nous enthousiasme : et de permettre aux enfants de découvrir ce qui les enthousiasme eux, indépendamment des influences de leur entourage adulte. Pour ce faire, il faut se libérer de tous les diktats sociétaux – en cela, l’enfant qui ne connaît pas encore la notion de hiérarchie, et est un modèle de tolérance, nous « montre la voie ». 
    • L’ouverture d’esprit : plutôt que de nous demander ce que nous pouvons leur apprendre, demandons-nous ce qu’eux peuvent nous apprendre, parce qu’ils « vont vers les autres à bras et à cœur ouvert ». Ils sont des exemples infinis de tolérance, et cette ouverture d’esprit est un merveilleux atout pour aller vers un monde meilleur.
    • Propension à aller vers le vaste monde : « facteur d’enrichissement mutuel ». Cela leur permet notamment l’entraide. Et c’est aussi pour ça qu’ils savent de quoi ils ont besoin. « Personne ne peut prétendre [mieux qu’eux] savoir ce dont ils ont besoin ». Selon André Stern, il est absolument essentiel de permettre aux enfants de vivre cet attrait illimité qu’ils ont pour le monde extérieur. Il met en garde les familles faisant le choix de l’IEF de veiller à ne pas tomber justement dans un « vase clos » : le danger étant pour l’enfant de ne recevoir que les connaissances de ses parents, et de ne pas avoir d’autres fenêtres sur la masse d’informations qui se trouve dans le monde. De fait, il n’est pas pour « l’école à la maison », mais bien plutôt « pour l’ouverture au monde », pour laisser les enfants aller un maximum et le plus souvent possible découvrir le monde.
  • Respecter les besoins de l’enfant

André Stern évoque aussi le respect des besoins fondamentaux de l’enfant, sans distinction hiérarchique. Par exemple, il insiste sur le fait qu’il ne faut pas laisser les enfants pleurer seuls, et qu’il est important pour nous, parents, de nous libérer des diktats de la société qui incitent au séparatisme : l’enfant découvre le monde, mais avec ses parents s’il en a besoin. Il est aussi important de leur permettre d’apprendre à leur rythme et au bon moment : un enfant qui bénéficie d’une telle liberté peut apprendre seul, parce qu’il est prêt et disposé. Quand on apprend sans être dispo, quand on nous force à apprendre, on oublie. C’est pourquoi, selon lui, on oublie 80% de ce qui nous a été appris. Enfin, il souligne aussi que les adultes doivent se montrer exemplaires, et favoriser la construction de la sécurité affective de l’enfant : l’enfant apprend à être heureux en vivant avec des adultes heureux. Et l’enfant apprend à être autonome lorsqu’il se sent suffisamment sécure dans sa relation avec ses figures d’attachement. Sur le même principe, l’enfant apprend à vivre les frustrations non pas en y étant confronté dès le plus jeune âge, mais au contraire en étant confronté à un maximum de satisfactions : il sait alors que la frustration n’est ni permanente, ni omniprésente, et il se sent ainsi armé pour mieux la tolérer.

 

 

Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation